Liquide à souhait, un petit goût beurré et lacté, une belle couleur crème, la cancoillotte, fromage trop méconnu en France mais qui fait la fierté de la Franche-Comté, possède de nombreux atouts pour en faire un incontournable du plateau de fromages. Légère et facile à cuisiner, elle sait aussi se glisser dans des recettes inventives ou classiques de l’apéritif au dessert.

CANCOILLOTTE, MAIS KESAKO ?

Can-coi-llotte ? Cancan quoi ? Derrière ce nom quasi imprononçable (répétez après moi : kan.ko.yot) pour une bonne partie de la France se cache – contrairement aux idées reçues – non pas un mélange de fromages mais bien une spécialité fromagère fondue, que certains se plaisent à classer parmi les fromages à pâtes fondues. La véritable fierté des Francs-Comtois depuis des lustres ! Selon une légende, la cancoillotte serait apparue il y a plus de 2000 ans. Mais ce n’est peut-être réellement qu’au 16e siècle qu’elle aurait été inventée pour éviter de jeter le lait trop rapidement caillé. Une recette anti-gaspillage avant l’heure ! Le savoir-faire des producteurs, affineurs et fondeurs s’est perpétué au fil des siècles. Quelles que soient ses origines, son nom est tiré de « coille », un dérivé franc-comtois de cailler. Hubert-Felix Thiéfaine lui a dédié une chanson éponyme dans laquelle il explique que la cancoillotte se mange avec les doigts… Ceux qui aiment le goût du risque et n’ont pas peur des tâches, la savoureront peut-être de cette manière. Mais sinon, sa texture semi-liquide, voire filante, et un peu collante, obligent les amateurs de cette spécialité d’un peu plus de civilité et de tenue. À la petite cuillère pour les puristes, ou à l’aide de morceaux de pain ou bâtonnets de légumes… bref des supports consistants seront leurs meilleurs alliés pour se régaler. Mais la cancoillotte est aussi appréciée comme ingrédient principal par des chefs, comme Fabrice Piguet, qui la transforment avec inventivité : Flûtes de metton, sablé de cancoillotte à l’ail rose, soufflé de cancoillotte, navette de truite fumée à la cancoillotte, crème à la cancoillotte de morilles, boule de cancoillotte panée et même plus étonnant, cheesecake à la cancoillotte… Pour ces chefs, la cancoillotte apporte légèreté et gourmandise à des recettes traditionnelles.

UNE AIRE GÉOGRAPHIQUE DÉLIMITÉE

« C’est tout un art, il faut rien laisser au hasard » chante Hubert-Felix Thiéfaine avec son accent à couper au couteau. Et c’est vrai, rien n’est laissé au hasard… Ni dans sa fabrication, ni dans sa dégustation. La cancoillotte est obtenue à l’aide d’un fromage au lait de vache appelé le metton. Et pas n’importe quelle vache ! Le lait doit provenir au minimum de 2/3 de laitières Montbéliarde, Simmental française ou Vosgienne. La production du metton et son affinage, ainsi que la production du lait servant à son élaboration, sa fonte et son conditionnement sont définis par un cahier des charges déposé lors d’une demande de reconnaissance en IGP (Indication géographique protégée) et en cours de validation auprès de l’INAO. Un long processus pouvant mettre entre 3 et 5 ans. En attendant, cette ébauche de cahier des charges détermine la zone de production de cette prochaine « appellation », la totalité des communes du Doubs, du Jura, de Haute-Saône et du Territoire de Belfort et certaines communes dans le département de l’Ain, de la Côte d’Or, de Haute-Marne, de Saône-et-Loire, des Vosges peuvent se prévaloir de cette aire géographique entre les montagnes du Jura et la plaine de la Saône. Certes un vaste territoire, mais lié historiquement à la fabrication de la cancoillotte. Aujourd’hui la filière, c’est 12 fromageries (certaines artisanales comme la fromagerie de Didier Humbert du GAEC Les Chansereaux, d’autres plus « industrielles » comme la fromagerie Marcillat Loulans), 2 producteurs fermiers et 5000 tonnes fabriquées par an.

DU METTON À LA CANCOILLOTTE

Une fois collecté, le lait est écrémé puis ensemencé et/ou emprésuré. Le metton peut effectivement être « lactique » (fabriqué avec des ferments lactiques) ou « présure » (fabriqué par voie enzymatique à l’aide d’une enzyme coagulante et de ferments lactiques)… Cette matière coagulée est ensuite égouttée selon plusieurs techniques qui peuvent se suppléer : décaillage, chauffage, brassage. Puis, le caillé est moulé. De ce traitement relativement classique pour un fromage va naître ce qui sert de base à la fabrication de la cancoillotte. 2500 litres de lait donneront environ 220 kilos de metton. Le fromage est ensuite émietté et affiné au minimum 12 heures, étape durant laquelle le produit peut être salé. Durant la fonte, qui intervient juste après, d’autres ingrédients viennent enrichir le mélange. Eau et beurre vont donner à la cancoillotte la texture fileuse qu’on lui connaît. Mais attention pas plus de 15% de matière grasse ! Classiquement autour de 8%. Ce qui permet à la cancoillotte d’être un fromage super light. Médaille d’or des fromages les moins caloriques à intégrer sans complexe dans un rééquilibrage alimentaire ou pour remplacer judicieusement les fromages lors d’une raclette ou d’une tartiflette. Des sels dits de fonte (acide citrique, citrate de sodium, citrate de potassium, phosphate de sodium, diphosphate, triphosphate et polyphosphates) sont ajoutés au mélange onctueux à hauteur de 2% maximum. Et petite touche finale non négligeable, l’adjonction de compléments aromatiques jusqu’à 20% maximum du poids total de produit fin selon leur catégorie. C’est ce qui fait le charme de la cancoillotte et la rend – osons le dire sans rougir – un peu plus relevée que nature ! Les épices, condiments et aromates ne dépassent pas 5% du produit fini. Les champignons, plantes aromatiques et noix, pas plus de 10%. Les vins et autres alcools (absinthe, kirsch, vin de liqueur), à hauteur de 20%. Ces derniers étaient d’ailleurs ajoutés traditionnellement pour fluidifier le produit. La cancoillotte est conditionnée à chaud, à une température supérieure à 65°C.
Ce fromage, dont la fabrication semble de prime abord simple, est beaucoup plus complexe et élaboré que les apparences le laissent supposer. Pour notre plus grand plaisir…