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Cette exposition se tient jusqu’au 18 octobre 2015 au musée du quai Branly. À travers de nombreux objets et des œuvres très qualitatives, elle retrace l’histoire du tatouage, son ancienneté, sa diversité et surtout son omniprésence au sein des cultures. Une consécration pour cet technique souvent tiraillée dans l’imaginaire collectif…

LE TATOUAGE EST-IL UN ART ?

Question légitime et fondamentale… Tin-Tin – tatoueur et accessoirement conseiller artistique de l’exposition – y a répondu simplement « le fait que le tatouage intègre un grand musée national est un grand pas pour faire reconnaître le tatouage comme art. La reconnaissance du tatoueur en tant qu’artiste est mon grand combat ». Le tatoueur, un artiste ? « Dans ce cas pourquoi le peintre serait un artiste ? » interpelle-t-il. « Vaste sujet. La seule chose que l’on peut nous reprocher est d’exercer cet art sous la peau et non pas sur du papier ou de la toile. C’est la seule différence. Le tatouage c’est un medium, un support, une manière de faire. Certain font de la gravure, de la peinture, du dessin… Il n’y a pas de limite dans l’art ». Un art éphémère (les œuvres disparaissant avec le décès du support) souvent non reconnu (jusqu’au début de sa sur-médiatisation) à sa juste valeur malgré les nombreuses conventions qui se tiennent depuis plus de 35 ans. La première convention internationale de tatouage ayant eut lieu en 1976 à Houston.

Au premier plan, un motif de tatouage sur un buste féminin par Tin-Tin. Au fond, à gauche, un motif de tatouage sur un dos masculin par Filip Leu. 

UNE CONSTANTE ÉVOLUTION DEPUIS SA CRÉATION

Quelles sont les différences fondamentales entre les tatouages traditionnels pratiqués hier et ceux d’aujourd’hui ? « Cette exposition veut montrer la situation du tatouage aujourd’hui » explique Stéphane Martin, directeur du Musée du Quai Branly. « À la fois d’où ça vient et les racines. Ce n’est pas une exposition d’anthropologie, d’ethnologie ou d’histoire mais une volonté de montrer que le tatouage aujourd’hui c’est à la fois un art mineur avec des artistes respectés qui sont des stars, qui ont des listes d’attentes de deux ou trois ans » rappelle-t-il. « C’est aussi un phénomène incroyable de dialogue entre les cultures qui a pris un statut particulier dans la société. Dans les années 40-50 on pensait que le tatouage allait disparaître.
Les tatouages sont devenus une illustration absolument fascinante de la circulation des goûts, de leur universalisation, de la mondialisation des cultures » s’émerveille-il. « S’il fallait donner une définition entre le tatouage traditionnel et le tatouage moderne, disons que le tatouage traditionnel est souvent décidé par le groupe, la collectivité que ce soit des guerriers maoris ou des prisonniers russes. C’est un tatouage extrêmement codifié par le groupe. C’est la collectivité qui décide où on le fait, quel motif, à quel endroit du corps. Aujourd’hui ces phénomènes existent très marginalement et ont quasiment disparu. Le tatouage moderne c’est l’inverse. C’est l’individu qui décide quel motif il veut, fait par l’artiste qu’il choisit, à l’endroit de son corps qu’il choisit. Les sociétés où le tatouage traditionnel était très présent, comme par exemple la Polynésie française, fonctionnent selon ce système moderne. Un jeune marquisien décide de quand et où il veut se faire tatouer. De ce point de vue, on peut dire que le tatouage traditionnel a disparu et que les motifs du tatouage traditionnel sont réapparus sous une forme différente ».

À gauche : Motif de tatouage sur une jambe féminine par Chimé. À droite : Motif de tatouage sur un corps masculin par Mark Kopua. Copyright des photos : musée du quai Branly / Thomas Duval.

LE RENOUVEAU DE L’IDENTITÉ CULTURELLE

Cette exposition tente donc de montrer l’étendue et la pluralité de cet art. Car s’il y a bien un aspect qui détermine le tatouage c’est sa diversité et sa complexité. Alors que des tatoueurs proposent un style hyper figuratif, dans les tatouages ethniques comme ceux de Chimé, le design est très graphique et parfois très stylisé dans la représentation de certains éléments du cosmos. Toute une symbolique se cache derrière. Très surprenants mais absolument sublimes, les tatouages aux motifs visuels et véritablement artistiques de Yann Black ou de Xed Lehead. Le tatouage « maori » a par ailleurs beaucoup évolué. Le moko se faisait essentiellement sur le visage, sur les cuisses, sur les fesses et autour de la bouche. « Il avait une caractéristique unique : ce n’était pas du tatouage mais de la gravure » souligne Stéphane Martin. « Avec un couteau, on ouvrait les chairs, on les écartait et à l’intérieur de ces chairs on mettait de la suie et de l’encre. C’était extrêmement dangereux et immensément douloureux. Interdit par les anglais pendant la période de colonisation, cela a commencé à réapparaître. Les femmes qui portaient de légers moko autour de la bouche ont été photographiées dans les années 60-70. Avec la renaissance des mouvements identitaires, à partir des années 80, le moko est redevenu à la mode. La différence c’est qu’il est désormais fait à l’aiguille. Donc ce ne sont pas du tout les mêmes conditions. Ce n’est pas le même niveau de douleur et de souffrances. Se faire tatouer le visage, même si c’est un acte irrévocable, ce n’est pas la même chose que de se faire graver ou taillader le visage » observe-t-il. Le tatouage a une histoire complexe. Il appartient au patrimoine de l’humanité car il n’y a pas une culture, pas un peuple qui n’ai pas pratiqué ou qui ne pratique pas cette expression corporelle (permanente ou temporaire) soit pour marquer l’exclusion ou la marginalité soit pour montrer le prestige social. Le tatouage a de tout temps servi à punir, avilir, mais aussi diviniser, ritualiser, initier… Même Ötzi, l’homme préhistorique découvert en 1991, porte les traces de nombreux tatouages. Le tatouage semble être la plus ancienne forme d’expressions artistique humaine.

À gauche : Tête de Nouvelle-Zélande en bois sculpté et gravé et pigment blanc. À droite : Tampon de tatouage en bois d’olivier et gravure en relief datant du 17ème ou du 18ème siècle. Copyright des photos : musée du quai Branly / Thierry Ollivier / Michel Urtado.

TIRAILLÉ ENTRE MARGINALITÉ ET PRESTIGE SOCIAL

La première salle « Du global au marginal » présente quelques objets basiques servant à tatouer comme un peigne ou des tampons. Quinze objets déterminants pour l’art du tatouage. Les pièces les plus impressionnantes étant l’avant bras droit tatoué avec un anneau en fer au doigt. Sans date cet avant bras semble tendre vers nous pour nous dire « approche-toi et je te révélerais les secrets de mon art ».
L’autre pièce marquante est le crâne gravé Kerewa de Papouasie-Nouvelle-Guinée datant du début du 20ème siècle dont une orbite est plantée d’un manche. Rituel post mortem ou individu victime d’une attaque violente et surprenante ? Un couloir de photographies et de gravures, dessins, lithographies du 18ème et 19ème siècle nous rappellent ensuite que le tatouage marque à jamais l’individu. Il le désigne comme appartenant à un clan, une caste, un groupe… Marginalisant pendant des siècles, stigmatisant tout un pan de certaines sociétés (esclaves de la Rome antique, criminels en Chine impériale, Code noir de Colbert), le tatouage devient au 19ème siècle une volonté de l’individu et revêt alors une autre signification, plus revendicative, tout en restant l’apanage de certains « marginaux ».

Vue de l’exposition. Copyright de la photo : musée du quai Branly / Gautier Deblonde.

QUAND LE TATOUAGE SERVAIT À ASSUJETTIR ET AVILIR

Dans la salle « la rue, l’armée, la prison », deux petites photographies révèlent une facette émouvante du tatouage. À droite, une femme arménienne au regard fier porte des tatouages sur le visage et les bras. Dans les années 1920, des milliers de femmes fuyant le génocide arménien trouvent refuge en Syrie où elles sont malheureusement réduites à l’esclavage et à la prostitution. Pour éviter leur fuite et les identifier, elles sont tatouées sur les parties visibles de leur corps. Cette femme arménienne a réussit à fuir. À côté, le portrait déterminé d’un jeune garçon de 12 ans. Sur son bras, le numéro 158671. Il a survécu à un camp de concentration. Plus loin, deux portraits géants. Deux femmes algériennes de Kabylie vers 1960 portent des tatouages traditionnels, aujourd’hui en voie de disparition. Dans la même alcôve, un tableau mêle des photos de « voyous, criminels et militaires » tatoués vers 1900. Un melting-pot de tatoués désirant montrer leur différence à travers ce lien de ralliement et de cohésion que constitue finalement ces traces sur leur corps.

Une peinture représentant Charlie Wagner effectuant un tatouage sur un modèle féminin.

LE TATOUAGE, UN SPECTACLE VIVANT

La salle « Sideshow » est elle consacrée entre autres à Anna « Artoria » Gibbons, Charlie Wagner, Lady Viola… Des tatoués ou tatoueurs qui ont fait du corps un spectacle vivant. Diverses lithographies et affiches de spectacles y montrent l’âge d’or du tatouage au début du 20ème siècle. Plus loin, la salle « tatoueur voyageur » rend hommage – à travers un « Wall of fame » – aux tatoueurs et aux tatoués les plus connus, à ceux qui ont permis de faire connaître le tatouage comme Leo Zulueta, Samuel Wallis, James Cook, Omai, Aoutouro ou encore la famille Razzouk… On y apprend par exemple que le mot tattoo est une anglicisation du mot polynésien tatau, mot qui apparaît pour la première fois en 1769 dans le journal de James Cook. Ou qu’en 1819 le Code Pomare, instauré par les missionnaires chrétiens, interdit le tatouage et place hors la loi les tatoueurs. La plus ancienne mention de tatouage infâmant sur le front serait quant à elle datée d’environ 400 et recensée en 720 dans le Nihon Shoki ou Chroniques du Japon.

Au premier plan, un motif de tatouage sur un dos masculin par Leo Zulueta. À l’arrière-plan, des oeuvres photographiques ou picturales de l’exposition.

LE TATOUAGE, UN ART RÉSOLUMENT UNIVERSEL

Alors que les premières salles sont consacrées à l’histoire globale du tatouage à travers les âges, les salles suivantes abordent chaque type de tatouage en mettant en valeur des tatoueurs d’hier et d’aujourd’hui. Chaque région, chaque style capital (Japon, Amérique du Nord, Nouvelle-Zélande, Samoa, Polynésie, Bornéo, Philippines, Indonésie, Thaïlande, Chine, Latino & Chicano) dans l’histoire du tatouage est abordé et détaillé à l’aide de planches graphiques, de motifs sur moulage en silicone des tatoueurs les plus prestigieux (Ernesto Kalum Umpie, Leo Zulueta, Yann Black, Mark Kopua, Grime, Jack Rudy, Horiyoshi III, Tin-Tin, Filip Leu, Chimé, Xed Lehead…), de projets de tatouage sur toile, de photographies anciennes ou plus récentes… De nombreux tatouages n’ont survécu que grâce à des artistes tatoueurs qui, pour certain, perpétuent avec modernité les traditions, pour d’autres, réinventent totalement cet art en faisant abstraction des anciens codes et en proposant une nouvelle esthétique. Et si le tatouage était définitivement le 10ème art tant espéré ?

LES INFORMATIONS DE TATOUEURS, TATOUÉS

Exposition « Tatoueurs, tatoués » du 06 mai 2014 au 18 octobre 2015. Musée du quai Branly, mezzanine Ouest, 37 Quai Branly, 75007 Paris. Tél. : 01 56 61 70 00. Horaires : mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h, ouverture de la billetterie à 9h30 (dimanche à 10h30), fermeture à 18h ; jeudi, vendredi et samedi de 11h à 21h, ouverture de la billetterie à 9h30, fermeture à 20h. Fermeture hebdomadaire le lundi. Tarifs : Plateau des collections (incluant les expositions des mezzanines) : tarif plein 9€, tarif réduit 7€.