Bulk vanilla planifolia or Madagascar Bourbon vanilla beans in Paris, France, October 30, 2024. In the foreground, a bundle of beans. Salon du Chocolat 2024.Gousses de vanille planifolia ou vanille Bourbon de Madagascar en vrac à Paris, France, le 30 octobre 2024. Au premier plan un fagot de gousses. Salon du Chocolat 2024.

Gousses de vanille Planifolia ou vanille Bourbon en vrac et en fagot. Photo d’illustration.

De la vanille en Bretagne ? C’est le pari un peu fou d’une poignée d’agriculteurs de la Coopérative Les Maraîchers d’Armor de la marque collective Prince de Bretagne. Un climat adapté, des techniques acquises auprès d’experts et une attention méticuleuse apportée à chaque gousse ont permis de réaliser ce qui pouvait sembler jusqu’à présent utopique.

DE LA CULTURE DES TOMATES À CELLE DE LA VANILLE DE BRETAGNE

Plus habitués à faire pousser des tomates sous serre, des maraîchers des Côtes-d’Armor ont voulu se lancer le défi agricole de cultiver de la vanille avec les équipements dont ils disposaient déjà. « Nous voulions recycler des outils qui étaient anciens et qui étaient moins productifs, moins intéressants techniquement pour la production de tomates. Les nouvelles serres de tomates sont plus optimisées au niveau du volume d’air, de la lumière et de la température. Nous avions des outils qui étaient moins lumineux et qui s’appropriaient plus à d’autres cultures que les tomates » explique Pierre Guyomar, maraîcher Prince de Bretagne à Camlez dans les Côtes-d’Armor et Président de la section Vanille de Bretagne. Une démarche qui pourrait s’apparenter à l’éconologie, visant à concilier productivité et préoccupations environnementales en adoptant des pratiques plus durables, où l’utilisation d’outils anciens trouve parfaitement sa place.
Pierre Guyomar, Simon Le Coz et Frédéric Lageat (Ingénieur Agro Consultant Cultures sous abris) rejoints dans cette folle aventure pour le côté plus technique par Florian Josselin, Responsable Innovation chez Les Maraichers d’Armor Prince de Bretagne, avaient pu obtenir une centaine de kilos de vanille verte lors des premiers essais. Lors de la 3e Conférence sur les Vanilles Françaises en février 2023, organisée au ministère des Outre-mer à Paris, ils étaient venus témoigner de leur expérience auprès de producteurs de vanille de La Réunion, Tahiti, Guadeloupe, Mayotte, Guyane… Ces territoires ultramarins français où se cultive déjà cette épice. L’occasion aussi de consolider les liens avec les producteurs Réunionnais. « Si nous nous lancions dans l’inconnu, les producteurs réunionnais n’ont, eux, pas été surpris. Ils pensaient cela tout à fait réalisable » souligne-t-il.
L’expérience n’est cependant pas nouvelle au sein de Prince de Bretagne puisqu’elle teste via Terre d’Essais, sa station d’expérimentations agricoles, de nouvelles cultures de fruits et légumes depuis les années 1970. Dès 2017, d’autres producteurs, notamment dans le Finistère, se sont lancés dans des productions à plus forte valeur ajoutée que la tomate, et étonnantes sous le climat breton, comme les agrumes notamment le citron caviar, le combava, la main de Bouddha, le yuzu, le kumquat, le cédrat, la bergamote, et d’autres fruits tels que le pitaya (fruit du dragon).

Des plants de vanillier ou lianes d'orchidées vanille dans leur pot.

Des plants de vanillier ou lianes d’orchidées vanille dans leur pot. Photo d’illustration.

UN CLIMAT BRETON ADAPTÉ À LA CULTURE DE VANILLE

Comment ont-ils réussi ce défi audacieux ? Certes d’apparence moins propice à la culture des plants de vanille que les régions tropicales, le « terroir Breton », bordé par l’Atlantique, bénéficie d’un climat océanique qui se caractérise par des températures douces tout au long de l’année, sans variations extrêmes entre des étés « relativement » frais et des hivers plutôt doux. Cette région reçoit aussi des précipitations régulières. Et quand il ne pleut pas en Bretagne (rires), l’hygrométrie reste généralement élevée. Ces différents paramètres climatiques combinés aux équipements existants ont permis à la vanille, de nature très compliquée et capricieuse, de s’épanouir. « Les températures dans les serres sont maintenue autour de 17-18 degrés » précise Florian. « Au début, nous avons voulu reproduire un climat tropical très chaud et très humide. C’était d’ailleurs une de nos erreurs. Mais ce genre de climat est source de vecteurs de maladies comme la fusariose ». La région abrite aussi des microclimats, comme celui de la Côte d’Émeraude, entre l’Ille-et-Vilaine et les Côtes d’Armor, où le climat est encore plus doux et ensoleillé grâce à son exposition aux vents dominants et à la mer. « Nous sommes dans une bande côtière qui va de la Côte d’Emeraude à la Côte du Granit de Rose. Une importante zone de production maraîchère. C’est une zone très tempérée et propice à de nombreuses cultures maraichères. La vanille s’adapte très bien au climat breton ».

Des plants ou vanillier ou lianes d'orchidées vanille en vrac.

Des plants ou vanillier ou lianes d’orchidées vanille en vrac. Photo d’illustration.

UNE VANILLE DE BRETAGNE CHARGÉE EN VANILLINE

Dès le lancement du projet fin 2019, le choix de la variété cultivée s’est donc porté sur la Planifolia de la Réunion pour ses caractéristiques organoleptiques, avec des plants in vitro provenant directement de l’île. « La vanille Bourbon a un profil aromatique plus vanillé que les autres. Ça reste de très loin la plus reconnue par le consommateur français » détaille Pierre. Un choix qui n’exclut pas d’autres variétés puisque le trio de maraîchers réalise aussi des tests de vanille Tahitensis (reconnue comme une hybridation naturelle entre une vanille Planifolia et une vanille Odorata). « Une vanille plus anisée, plus fruitée, moins puissante. C’est une vanille que le consommateur connaît moins ». La vanille de Tahiti est peut-être moins gourmande mais surtout moins chargée en vanilline, puisqu’elle ne possède qu’un taux moyen de 1,3 %. « Les premiers tests de notre vanille de Bretagne, par Vanalyse (laboratoire indépendant marseillais spécialisé en ingénierie analytique, ndlr), démontre sur la vanille verte qu’elle a un taux supérieur à 2 % » souligne Florian. Dans la mesure où la vanille gagne en vanilline lors de l’affinage… Un important taux du poids sec qui leur a permis d’obtenir de la vanille givrée. Une vanille moins plébiscitée par les consommateurs, ces derniers confondant souvent le givre et la moisissure. « Et pourtant une vanille givrée est un gage d’une forte concentration en vanilline ». Ce givre se manifeste généralement en fin de maturation, soit environ 9 à 12 mois après la récolte. Mais tout dépend de la variété (la Planifolia étant la plus susceptible de produire du givre), des conditions d’affinage et de la richesse en vanilline initiale des gousses.
Hormis au Mexique et dans quelques pays d’Amérique du Sud où des petites abeilles endémiques sans dard, les Melipones et les Euglossines, pollinisent les fleurs, faire pousser de la vanille partout ailleurs n’est pas simple. C’est un travail d’orfèvre et de longue haleine. « Il faut 18 mois entre la fleur et la gousse commercialisable » indique Florian. Sans cet insecte, chaque orchidée, hermaphrodite (femelle et mâle), doit être fécondée à la main selon des techniques hérités d’Edmond Albius, célèbre pour avoir découvert à la Réunion le procédé pratique de pollinisation de la vanille, utilisé aujourd’hui, en 1841, alors qu’il n’avait que 12 ans. Une autre technique de pollinisation avait été inventée, sous serre, par le belge Charles Morren en 1836 mais du fait de sa complexité, cette dernière n’avait pas remporté de succès économique et avait vite été abandonnée.

Bulk vanilla planifolia or Madagascar Bourbon vanilla beans in Paris, France, October 30, 2024. Salon du Chocolat 2024.Gousses de vanille planifolia ou vanille Bourbon de Madagascar en vrac a Paris, France, le 30 octobre 2024. Salon du Chocolat 2024.

Gousses de vanille Planifolia ou vanille Bourbon en vrac a Paris. Photo d’illustration.

UN SAVOIR-FAIRE HÉRITÉ DE TECHNIQUES TRADITIONNELLES IMMUABLES

Le trio de maraîchers a donc appris les gestes de la fécondation, pour lesquels, habituellement, un simple cure-dent (ou un outil fin et pointu) reste l’outil le plus efficace pour soulever la rostellum (sorte de petite membrane située entre les organes mâles et femelles) afin que le pollen rentre en contact avec le stigmate de l’orchidée grâce à une pression des doigts qui doit être bien dosée. Un travail exécuté à la main sur chacune des fleurs que comptent les milliers de lianes plantées par les maraîchers Bretons.
Les gousses sont cueillies à la main, une à une, au bout de 9 mois, lorsque leur base commence à jaunir. « Elle est à sa concentration maximale de vanilline dans le dernier mois. C’est une courbe exponentielle qui apparaît à partir du huitième mois et une semaine. Et à la fin du neuvième mois, elle est au maximum. Mais toutes les gousses ne sont pas mûres en même temps sur une même liane. Il peut parfois y avoir un mois de décalage dans la maturation entre deux gousses ».
Pour transformer les gousses vertes en épice, les maraichers Bretons se sont inspirés de ce qui se fait traditionnellement à la Réunion. « Comme c’est une vanille Bourbon, nous utilisons les mêmes techniques qu’à la Réunion : échaudage, étuvage, séchage, mise en malles » développe Pierre. « Dès qu’elle est échaudée, quelques jours après, elle est noire. Ça, c’est très rapide. C’est l’affinage derrière qui est très long ». Après le séchage, les gousses mises en malles hermétiques, à une température et une humidité contrôlées, sont constamment surveillées durant plusieurs mois. Lorsque les gousses sont stabilisées, sans risque de moisissures, chargées en vanilline, qui agit comme un antibactérien, débute alors le travail de calibrage, de mise en botte et de conditionnement. « Mais avant, nous massons les gousses pour faire migrer les grains et les homogénéiser dans la gousse ». Et donner à cette dernière une jolie forme.

Loose planifolia vanilla beans on which are placed pods of a bourbon gourmet variety sometimes also called La Mexicaine. called La Mexicaine in Paris, France, October 30, 2024. Salon du Chocolat 2024.Gousses de vanille planifolia en vrac sur lesquelles sont posées des gousses d'une variété bourbon gourmet parfois aussi appelée La Mexicaine a Paris, France, le 30 octobre 2024. Salon du Chocolat 2024.

Gousses de vanille Planifolia en vrac sur lesquelles sont posées des gousses d’une variété Bourbon gourmet parfois aussi appelée La Mexicaine à Paris, France, le 30 octobre 2024. Salon du Chocolat 2024. Photo d’illustration.

UN PREMIER MILLÉSIME 2024 POUR LA VANILLE DE BRETAGNE

Cinq ans après des débuts finalement très empiriques, portés par un enthousiasme qui leur a parfois valu, certes, des erreurs, mais formatrices, les voici fin prêts à diffuser leur premier millésime 2024 auprès des professionnels de l’agroalimentaire mais surtout du grand public. La vanille de Bretagne a déjà pu être testée par des chefs cuisiniers du cru et même certains chefs étoilés comme Jean-François Piège ou Anne Coruble, chef pâtissière du Péninsula qui l’a utilisé pour sa bûche de fin d’année, Hesperidée. Dès la fin de l’année, le public pourra goûter cette nouveauté bretonne via plusieurs sites internet marchands et se fournir en masse lors du prochain Salon International de l’Agriculture, le trio assurant qu’il aura plusieurs centaines de kilos à vendre.
Cette culture reste expérimentale en Bretagne. De nombreux autres tests sont réalisés sur cette culture, notamment pour le substrat, pour déterminer si elle peut être pérenne ou non, rentable ou non. D’autres cultivateurs suivront peut-être la voie tracée par le trio. À l’instar des Espagnols qui produisent du café sur l’île de Grande Canarie, les Bretons vont-ils un jour se lancer dans une autre culture « tropicale » que la vanille ? Et pourquoi pas du cacao ou du café ? Impossible n’est pas breton…