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La cuisine des Seychelles se fait discrète, subtile – laissant la vedette à d’autres attractions comme les plages ou les cocos-fesses – pour mieux s’affiner, s’affirmer, se confirmer…

L’archipel des Seychelles est connu pour ses plages, de rêve, et ses cocos-fesses (nom commun donné au coco de mer). Mythiques. Moins illustres, le nombre d’îles qui le compose, 115 au total, et sa gastronomie, plutôt une cuisine familiale, un savoir-faire ancestral, que l’on se transmet de génération en génération, où les saveurs s’ajustent très harmonieusement et explosent en palais, grâce à des produits toujours d’excellente qualité.
D’influence chinoise, africaine, indienne, portugaise, hollandaise et surtout française, elle a su prendre le meilleur de chaque contrée, au gré des passages des différents colons ou des voyageurs à la poursuite d’aventures, pour créer sa propre identité, un caractère unique et métissé. C’est probablement la moins connue des cuisines créoles, mais elle est avant tout unique car seychelloise. Pour mieux approcher cette cuisine, et à défaut de partir dans ces îles paradisiaques, challenge nous est donné de découvrir ses plus intimes secrets. Rendez-vous est prit avec Pierre Frichot, le patron du Coco de Mer, situé à Paris. Ancien élève hôtelier à Strasbourg, la cuisine est pour lui une réelle tradition familiale. Ses parents, tous deux Seychellois, possédaient un hôtel aux Seychelles dont le restaurant, Le Bougainville, avait acquit au fil des années une renommée bien au delà des autochtones. Chaque jour, il savourait des repas typiquement créoles, et une fois par semaine, la cuisine internationale était de rigueur sur la table. Son chef de cuisine, Patrice, a lui aussi débuté sa carrière au Bougainville. Le Coco de Mer, dont le nom est sans équivoque une référence à cette fameuse noix de coco, typique et endémique des Seychelles, est « un ancien bistrot de quartier qui a ouvert ses portes il y a tout juste 30 ans, en 1981 » nous explique Pierre.

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La préparation de la salade « découverte » du Coco de mer. Un plat qui permet aussi de découvrir les crevettes et le ceviche à la seychelloise.

UNE CUISINE SIMPLE MAIS SAVOUREUSE

La cuisine des Seychelles étant peu connue, les clients du restaurant étaient alors « soit Antillais, soit Parisiens à la recherche de nouvelles découvertes culinaires, soit de passage, soit des rêveurs ayant dans leur projet d’aller un jour visiter l’archipel ou bien encore des nostalgiques ayant connu nos îles » poursuit Pierre. Il y a une dizaine, le Coco de Mer, jusqu’alors restaurant discret, a connu une notoriété sans pareil, dans la longue liste des restaurants « insulaires ». La raison ? Une idée, lumineuse pourrions-nous dire, et pourtant bien simple : mettre du sable fin et blanc, quasi immaculé, sur le sol du restaurant et faire rêver les clients en leur donnant la sensation de dîner les pieds dans le sable. Comme s’ils y étaient ! Succès total. « Toutes les réservations demandaient alors la salle ensablée » s’amuse Pierre. Il doit alors se résigner à installer du sable dans tout le restaurant. L’affaire est classée et fera désormais venir les clients pour d’autres raisons. Le succès du Coco de Mer est sans conteste sa cuisine, d’apparence simple, mais goûteuse. Ici pas de chichis (mais plutôt des chouchous), pas de maniérisme à la façon des restaurants dit gastronomiques, mais la quantité et la qualité sont au rendez-vous. Comme dans la plus pure tradition seychelloise qui veut que les quantités soient toujours largement supérieures au nombre de convives, au cas ou un invité surprise se présente. Au Coco de Mer, chaque jour, priorité est donnée aux ingrédients que l’on trouve aux Seychelles, « afin de préserver l’authenticité les nombreuses saveurs de l’archipel », mais aussi des produits de saison dans un esprit un peu écologique. Car s’il y a certaines espèces de poissons que l’on est obligé de faire venir directement de l’Océan Indien, pour la simple raison qu’il n’en n’existe pas de similaires sur les côtes françaises, l’importation se limite à ce qui est vraiment introuvable sur le « sol français » et surtout ce qui est incontournable dans les recettes de l’archipel.

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Le poulpe est un ingrédient très apprécié des seychellois. On le retrouve dans de nombreuses préparations comme dans la salade de poulpe à l’ananas ou la salade « découverte » du Coco de mer.

LES POISSONS, ROIS DE LA CUISINE SEYCHELLOISE

La cuisine Seychelloise, le byen manze kreol, comme la plupart des cuisines insulaires, fait la part belle aux poissons (pwason). Et l’on dit que les poissons des récifs, du lagon et de la haute mer de l’archipel sont les meilleurs du monde. Nombreux et savoureux, ils permettent de créer les mets les plus raffinés. Le job ou vivaneau job (en fait le bar ou le loup de méditerranée) dont la chair est ferme et fine, se prépare de la même façon que ses semblables. Les ajustements les plus délicieux étant grillés, poêlés, ou en croûtes de sel. Le bourgeois, est lui aussi un incontournable de la cuisine seychelloise. Vivaneau que l’on pêche de la manière la plus simple, la palangrotte (du fil et un hameçon), c’est un poisson que l’on trouve mitonné de mille et une façon. Au Coco de Mer, il est dégusté sobrement grillé et accompagné d’une sauce au gingembre. Aux Seychelles, on le retrouvera, ainsi que son cousin le bordomar, comme l’ingrédient principal d’abondantes recettes. En mille–feuille, en quenelle, en fricassée, en feuilleté, en soufflé… l’imagination de son accommodation est sans limite. D’autres poissons comme l’espadon, le marlin (noir, bleu ou rayé), le voilier, le thon jaune, le thon obèse, le thon Dent de Chien, le thazard (ou wahoo), le thon listao (ou bonite à ventre rayé), la bonite à dos rayé, la carangue têtue (très consommée), le maquereau indien (généralement grillé à la braise), le barracuda (dégusté salé au vert), l’étélis, le perroquet ou le cordonnier sont aussi très prisés des seychellois. Seul la daurade coryphène, que l’on appelle ailleurs, dans d’autres îles, le mahi-mahi n’a jamais vraiment trouvé sa place dans l’alimentation des seychellois, hormis en grillade. Les mérous qu’on appelle ici vieilles sont en fait de nombreux poissons, tous très différents, mais dont la chair est délectable, fine et raffinée, au doux goût des crustacées dont ils se nourrissent. Vivaneau chien rouge (vara vara), mérou pintade (vieille macondé), vieille ananas (msye angar), mérou oriflamme (madamm dilo), croissant queue jaune (vye krawsan), vieille plate grise sont les vieilles les plus appréciées. Ces poissons se dégustent en daube, en satini (chatinis), en kari, en kat-kat, en grillade, en gratin… D’autres spécimens dits cartilagineux comme les requins ou les raies sont aussi apprêtés de diverses manières. Pour des raisons écologiques, le requin marteau, le requin dormeur et le requin guitare sont des espèces protégées. La législation interdisant la capture des raies est par contre quasi inexistante, et ceci à l’échelle internationale. Elles sont pourtant en voie de disparition et se reproduisent très lentement. Difficile, hélas, de faire cohabiter des traditions culinaires ancestrales avec des décisions écologiques modernes.

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Reynald fait l’accueil et le service… dans la joie et la bonne humeur. Pas de doute, nous sommes bien dans les îles !

MERVEILLEUX DONS DE MERE NATURE

Les crustacés, dont certains aujourd’hui sont également interdits à la pêche, appartiennent aussi à la cuisine traditionnelle et familiale. Coques, poulpes (zourit), calmars, tectec (tellines) et crevettes relèvent de cette cuisine et entrent dans la composition de nombreuses préparations. D’autres crustacés ont investi les plats, avec l’influence du tourisme et la créativité des chefs qui ont alors exploité plus largement les produits de la mer. Les sauces, fumets et fonds ont pu développer toute leur potentialité grâce à des espèces comme le crabe girafe ou les coquilles Saint-Jacques. L’archipel, comme de nombreuses îles tropicales, possède un climat des plus clément et 2 saisons bien distinctes. La saison des pluies, d’octobre-novembre à mars-avril, où la température oscille entre 24 et 30°C et la saison dite « fraîche » où il ne fait qu’entre 18 et 26°C, le reste de l’année. Ses températures lui permettent donc d’arborer une végétation luxuriante. Les plantes, les fruits, les légumes poussent même sans l’intervention de l’homme. « Les Seychellois ne sont pas des cultivateurs dans l’âme. Ils laissent pousser les végétaux, ils n’arrosent pas » nous rappelle Pierre. On trouve ces végétaux en abondance tout au long de l’année. Les Seychellois consomment beaucoup de racines et de tubercules, que l’on appelle Gro Manzé, parmi lesquelles manioc, patates douces, igname, taro mais aussi le fruit de l’arbre à pain et les bananes à cuire… Hérités de la cuisine des plantations, ces ingrédients étaient initialement destinés aux esclaves, puis aux colonisés et aux pauvres. Lorsque l’esclavage n’avait pas encore été aboli, chaque « propriétaire » avait obligation de nourrir ses assujettis avec des aliments d’aspect « marron ». Les autres légumes du « pauvre », sont les brèdes. Parfois des légumes verts, mais bien souvent les feuilles d’une plante ou d’un légume, cuits à l’étouffée, en bouillon ou en fricassée, jamais crues. On peut y trouver les brèdes giraumon, les brèdes mouroum, les brèdes payater, les épinards, la salade, le cresson ou le chou de Chine. Les autres légumes, les plus communément consommés par les seychellois, sont les chayottes (christophines ou chouchous), les giraumons (ziromon), nom vernaculaire donné à un certain nombre de courges, les tomates (pommes d’amour), les margozes (courges amères), le poivron (gros piman), le piment doux (piman salad), les zembériques (graines de soja), le dahl (pois cassé de pois cajan ou lentilles)…

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Pour réussir un kari de bœuf il faut : beaucoup de doigté pour détailler la viande, hacher les herbes et aromates, et beaucoup de patiente pour que le plat mijote.

LA MAITRISE CULINAIRE OU L’ART DE PRENDRE SON TEMPS

La cuisine des Seychelles est « une cuisine où il faut du temps. Elle reflète le temps passé derrière les fourneaux » souligne Pierre. Sans précipitation, avec une certaine lenteur et nonchalance, confitures, achards, satini (chatinis ou chutney cru), rougail prennent forme ; kari, fricassées, purées, gratins, compotées… mijotent, cuisent, mitonnent. « Aux Seychelles, c’est familial. Tout le monde met la main à la pâte. Il faut veiller constamment sur le feu, le déroulement de la cuisson » nous rappelle-t-il. Précepte qu’il applique dans les cuisines de son restaurant, où il n’hésite pas à « donner de sa personne » lorsqu’il faut aider le chef, seul aux cuisines. « Pour qu’un restaurant fonctionne, il faut s’investir ». C’est la clé de la réussite. La cuisine est un lieu privilégié, où les jeunes et les moins jeunes se rencontrent, apprennent les enseignements des cuisinières, s’informent, se nourrissent des légendes, folklores et autres pratiques ésotériques. Les seychellois ont l’habitude manger de deux façons. À la campagne, et dans les « îles plantations », pas de repas à table. Une fois ce dernier préparé, chacun se sert et s’isole, seul face à son assiette et peut-être à lui même. A la ville, les bonnes manières et l’étiquette à l’anglaise, se perpétue avec orchestration réglée comme du papier à musique. Le week-end et surtout le dimanche lors du traditionnel pique-nique, la décontraction pour toutes les classes sociales est de mise. Il n’y a plus ni riches, ni pauvres, ni de descendants d’anciens maîtres, ni de descendants d’anciens esclaves, mais uniquement des seychellois, réunis autour d’un repas, autour d’un riche patrimoine culinaire, qui ne tient plus en compte le milieu dans lequel il a été créé.
Dans la vraie cuisine seychelloise, le hors d’œuvre n’existe pas. Autour du riz, qui est le point central du repas, poissons ou viandes se disputent la vedette, achards de légumes, satini et piments écrasés se côtoient pour relever les saveurs. Le chaud rivalise avec le froid. Chacun est libre de commencer par la préparation qu’il préfère, de mélanger les garnitures à son bon gré. Les entrées à l’européenne sont plutôt représentées par ce que l’on appelle gadjacks ou amuse-bouches. Se sont principalement des beignets et des fritures : tempura de fleurs de papaye ou d’hibiscus ; chips de manioc, de patates douces, de bananes Saint-Jacques, de taro (arouille) ; dholl-puri, une sorte de petite crêpe faite avec de la farine de blé et de pois cassés que l’on fait frire ; samoussas…

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La chayotte, appelée aussi christophine ou chouchou, est une courge qui entre dans la composition de nombreuses spécialités seychelloise. En gratin, elle est divine ! Pour cela, coupez-la en deux, épépinez-la, faites la cuire à la vapeur puis videz sa pulpe. Mélangez cette dernière avec une sauce béchamel. Saupoudrez de gruyère, de chapelure et d’une noix de beurre. Au four, et c’est parti pour un gratin.

UNE CUISINE RICHE ET DIVERSIFIEE

Les fruits sont légion aux Seychelles. Offrandes de la nature généreuse, ils servent à bon nombre de desserts dont les gâteaux, les kat-kat (cake), les crèmes, les mousses, les sorbets, les glaces, les beignets, les confitures, les limonades, les soufflés et surtout les cocktails en tout genre… même si le sucré est relativement peu mis en valeur dans la cuisine traditionnelle. Citron vert, fruit de la passion, carambole, bigarade, tamarin, noix de coco, mambolo, santols, ramboutans, longanes, mangoustans, anones (cœur de bœuf), bilimbis… et une multitude de fruits, parfois sauvages, servent à l’élaboration à d’innombrables et délectables douceurs et entremets.
La cuisine Seychelloise est riche et diversifiée. Elle évolue, devient plus fusionnelle avec les autres cuisines, grâce à des produits importés, mais subit aussi malheureusement des transformations dues à des modes de vie qui ont changé et à l’obligation d’une certaine adaptation au marché international et à l’affluence des touristes. « Aujourd’hui, les seychellois n‘ont plus vraiment le temps de cuisiner. Les préparations de cette cuisine sont longues » conclut Pierre. Les conséquences sont « une déperdition des traditions orales, écrites, culturelles au sens large », une déperdition de cet art culinaire, de cette culture du terroir, remplacée peu à peu par une junk food, mondiale et quasi inévitable. La cuisine seychelloise gagne à être connue et c’est grâce à des ambassadeurs comme le Coco de Mer qu’elle y parviendra peut-être un jour ?

Au Coco de Mer, 34, Boulevard Saint-Marcel , 75005 Paris. Tel. : 01 47 07 06 64 et 06 81 57 29 29. reservation@cocodemer.fr. Le restaurant est fermé le dimanche et le lundi midi.

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Le kari, base épicée incontournable dans la cuisine seychelloise.

LES EPICES DES SEYCHELLES

Dire que l’on mange épicé aux Seychelles serait un pléonasme. Noix de muscade, clou de girofle, safran vert, curcuma, poivre, anis et bien évidemment curry (un mélange judicieux d’au minimum 16 épices ou aromates dont le gingembre, la coriandre, la cardamome verte, le cumin, la cannelle, le curcuma, le piment, le fenugrec, la moutarde…) permettent aux plats d’offrir un feu d’artifice au palais, d’accentuer, de relever, de parfumer leurs saveurs. Toutes importés, il y en a cependant deux qui ont été produites dans l’archipel. La cannelle pousse un peu partout à l’état sauvage, principalement sur les îles de Mahé et Silhouette depuis son introduction dans l’archipel en 1770 par Pierre Poivre, le bien nommé, dont le rêve était d’implanter la culture des épices sur l’archipel. La production de cannelle a cependant baissé (63,4% en 2010 par rapport à l’année précédente). La vanille quant à elle a été introduite sur l’archipel en 1866 (ou 1868 ?). Un temps effacée par la production de vanilline (vanille synthétique), sa exploitation a été définitivement arrêtée depuis le milieu des années 2000. Sans ces épices, ces aromates qui lui apportent toutes ses lettres de noblesse, son goût, son parfum, son mystère, et qui entrent dans d’innombrables recettes, la cuisine seychelloise ne serait pas celle que l’on savoure et que l’on affectionne.

PETITES CURIOSITES CULINAIRES

Chaque pays possède ses recettes insolites et les Seychelles ne font pas exception à la règle. La plus surprenante est sans doute le fameux kari de… roussette, une petite chauve-souris. Sa chair est paraît-il tendre et délicieuse. Autre curiosité culinaire des temps anciens, le boucan et la soupe de tortue (kay tortue). Sont-ils toujours consommés ? La chasse et la consommation de cet animal sont interdites depuis de nombreuses années. On dégustait aussi autrefois les oiseaux de mer en boucané. Leur protection rend aujourd’hui impossible ce genre de met. En période de disette, on consommait un kari de peau de tête de requin. Preuve, s’il en est, de l’imagination sans limites des cuisinières seychelloises. Les anciens se souviennent d’avoir dégusté du mous zonn frites, autrement dit des larves de guêpes sautées puis arrosées de jus de limon. La plupart de ces recettes sont irréalisables, pour des raisons écologiques, mais sont restées vivaces dans l’esprit des anciens. Et les écouter se souvenir des saveurs de ces plats insolites, procure la sensation de les avoir un peu goûté soi-même… Plus actuelle, la fameuse salade du millionnaire, à base de cœur de « palmier ». Il s’agit en fait de cocotiers (de la famille des palmacées) qu’on abat et qu’on épluche afin d’arriver au cœur. Rien à voir avec les cœurs de palmiers vendus en boîte ! Plus croquants, les cœurs de « cocotier » sont divins… Au Seychelles il faut attendre 10 ans pour abattre le cocotier, dans d’autres îles se sont uniquement les jeunes cocotiers qui servent à l’élaboration de cette salade.