Hologramme de Paul Ricard dans le nouveau musée dédié à Méjanes.

Ricard, le pastis de Marseille affiche fièrement ses 90 ans. Au cœur d’un succès jamais démenti, une recette secrète. Un mélange de plantes devenu une signature et l’un des apéritifs préférés des français. Et derrière, un homme unique, Paul Ricard, au destin incroyable.

RICARD, LE GOÛT DU PARTAGE ET DE LA CONVIVIALITÉ

« Tu tires ou tu pointes ? » Avec l’accent chantant de Marseille. Ajouté à cela le soleil, un beau ciel bleu, de la joie et surtout un petit jaune (oui, mais pas n’importe quel jaune, « un Ricard sinon rien » s’il vous plaît), tout est réuni pour un moment de convivialité dont seuls les gens du grand sud ont le secret. La convivialité est l’essence même de cette boisson mythique, l’un des meilleurs ambassadeurs de la cité phocéenne. Paul Ricard avait dans l’idée, dès le lancement de son pastis de Marseille, que son produit serait à partager. Une bouteille suffit à remplir 50 verres ! Un tour de magie ? Non, une formule (secrète bien évidemment) née pour être diluée et pour amplifier un goût anisé, dont raffolent les Sudistes. Ceux du Sud mais pas uniquement à en croire le nombre de litres vendus dans le nord. « Paul Ricard, pour moi, est un symbole de grandeur. Il voulut faire quelque chose de sa vie et il y parvint, en partant de rien. Il ne perdit jamais sa simplicité malgré sa réussite. Rien ne lui fut acquis, il ne compta que sur son intelligence et sa capacité de travail. Pour lui tout homme était son pareil » explique Laeticia, son arrière-petite-fille en préface de son livre « La passion de créer », publié en 1983 et réédité en 2021 à l’occasion du centenaire de sa naissance. Pour comprendre cette saga Ricard, il faut en appréhender son créateur. Un personnage haut en couleur, tenace, pugnace même, qui bien que empêché par son père de poursuivre un dessein artistique, a transformé une déception en force extraordinaire.

La marque fête cette année ses 90 ans. Pour l’occasion, une bouteille est éditée en édition limitée ainsi que des objets publicitaires.

UNE FORMULE SECRÈTE, SOUVENT IMITÉE, JAMAIS ÉGALÉE

À 12 ans, une rencontre avec un certain Espanet, un bouilleur de cru, a été semble-t-il décisive. Le vieil homme lui aurait confié la recette de son pastis à 60°. Et peut-être forgé cette destinée. Cinq ans plus tard, Paul Ricard, s’il ne peut être artiste et faire l’École supérieure des beaux-arts de Marseille (refus catégorique du paternel), quitte le lycée et devient négociant en alcool dans l’entreprise de son père, qu’il suit déjà sur les routes depuis longtemps. Il embrasse alors ce métier de commerce. Avec peut-être l’idée de fabriquer et vendre dans le futur sa propre boisson ? Dans une petite pièce de la maison familiale, il s’organise un laboratoire de fortune. Soutenu et aidé par son frère Pierre, Paul Ricard s’essaye à l’Art du mélange. Pastis en provençal. Expérimentant tour à tour des distillations, des macérations, pour mettre au point une boisson alcoolisée et anisée. Un pastis non pas comme il en existe déjà, mais une recette qui soit unique et inimitable. Il met alors au point une formule dont la meilleure équation se réalise avec un titre alcoométrique volumique à 45. Sa potion secrète ne contient pas moins de 50 plantes et fruits (57 précisément !) parmi lesquelles l’anis étoilé (badiane), l’anis vert et la réglisse mais aussi le fenouil aromatique, la grande absinthe, la lavande officinale, l’origan, le romarin, la cannelle, le citron, l’armoise, la cardamome, le serpolet, la mélisse, la petite absinthe, l’estragon, la marjolaine, l’aneth… Et même des figues, des raisins et des oranges ! Le secret de la formule réside plus dans l’ordre dans lequel sont ajoutés les ingrédients et les doses utilisées que leur longue liste.

Au musée Paul Ricard, diverses affiches, que le créateur de la marque a dessiné lui-même, sont exposées.

RICARD, UN MARKETING ET UNE PUBLICITÉ BIEN RODÉS

Le Ricard est né ! Sauf qu’en 1932, date à laquelle sort son produit, le degré alcoolique que Paul estime être le meilleur pour son pastis est supérieur à ce qui est autorisé. Les amateurs de boissons alcoolisées doivent se contenter de liqueurs anisées à 40° depuis 1922. Les autres boissons anisées (La Cressonnée, la Tommysette, l’Amourette, Berger, Pernod) affichent également un taux de sucre et d’essence trop bas pour être satisfaisante en goût, selon Paul Ricard. Le décret du 16 mars 1915, sous la pression des ligues de vertu et viticoles, avait fixé un titrage très bas des boissons alcoolisées. La faute à l’absinthe accusée à tort de rendre « fou et criminel » ses consommateurs et strictement interdite depuis le décret. Les lobbies du vin ont eut la peau de cette fée verte qui dès 1860 – date à laquelle les vignobles français furent ravagés par le Phylloxéra – est devenue la boisson nationale et a remplacé le vin sur les tables françaises. En 1920, le degré des alcools est relevé à 30° puis deux ans plus tard à 40°. En 1940, sous le gouvernement de Vichy, les boissons à plus de 16° sont Interdites. La fabrication et la vente du Ricard à 45° sont mises en dormance. Paul Ricard produit alors du vermouth et des jus de fruits. Pour éviter le STO (Service du Travail Obligatoire) à ses employés, Paul se lance dans la culture du riz au Domaine de Méjanes, à Arles en Camargue. 1951, les boissons à plus de 45° sont de nouveaux autorisées. Pernod lance son Pastis 51. Mais Ricard a déjà un temps d’avance. En marketing et en publicité surtout. La première année, Paul Ricard avait réussi à écouler 360000 bouteilles de son Pastis de Marseille. Justement grâce à cette appellation sur les étiquettes. Et rien qu’en faisant du porte à porte dans les nombreux bars d’abord du quartier Saint-Marthe, puis de la ville et enfin de la région ! Le bouche-à-oreille et les jolies mises en avant du produit, notamment avec des publicités colorées et dessinées par lui-même, font le reste. La notoriété du produit s’étend bien au delà de la région Sud.

Pour les 90 ans de la marque, une carafe et des verres sont estampillés de différents slogans notamment « Born in Marseille ».

UN MARIAGE ET DES RACHATS EN CASCADE

Durant de nombreuses années, Ricard et Pernod vont se tirer la bourre. Si le premier a fixé le cahier des charges du pastis de Marseille, le second est l’inventeur des produits dérivés à l’effigie de sa marque. Une façon détournée de parler d’alcool sans en avoir l’air. Mais en bonne intelligence et forts du précepte « l’union fait la force », Ricard et Pernod unissent leur destin en 1975. En 1978, le décès du PDG Jean Hémard, propriétaire de Pernod permet à la famille Ricard de prendre les rênes de l’entreprise. C’est donc Patrick Ricard qui devient PDG. Dès lors le groupe ne va cesser de s’agrandir grâce à des acquisitions stratégiques à l’international. D’abord en rachetant l’américain Austin Nichols et l’Irlandais Irish Distillers qui possédait les whiskys Bushmills et Jameson. Suivront le rachat des marques Orlando Wyndham et son célèvre Jacob’s Creek, Seagram, Allied Domecq, les champagnes Mumm et Perrier Jouët, le whisky Ballantines ou encore Malibu, Vin & Sprit, propriétaire de la vodka Absolut… Aujourd’hui un portefeuille de plus de 240 marques.

Michèle Ricard, l’une des filles de Paul Ricard, a repris le Domaine de Méjanes pour en faire un véritable paradis dédié à la mémoire de son père.

UN RETOUR AUX SOURCES ET À L’ESSENTIEL

Paul Ricard a tout fait, tout vécu. Il a créé un circuit automobile qui est devenu un temps THE place to be pour la formule un. Il a bien sûr goûté à la politique en étant maire de Signes, un village de l’arrière pays varois. Il a été producteur de films dont La Caraque blonde, un western camarguais. Mais l’essentiel était ailleurs. D’abord la famille. Une grande famille comptant de nombreux enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants… Qu’il a chéri de toute son âme jusqu’à son dernier souffle. De son enfance, Paul Ricard avait gardé un amour de la nature et un besoin de vivre dans une société solidaire et amicale. Très jeune il a pris conscience de la destruction de la nature par l’homme et la nécessité de la protéger d’une main dévastatrice. « Mais la déjà toute-puissance Administration préférait refaire le monde pour l’adapter à sa vue de taupe paperassière, plutôt que de conformer ses plans à l’environnement naturel » évoque-il dans son livre au sujet de son école de garçon qu’il découvre à 6 ans. En grand défenseur de la ruralité et des forêts, sa lettre adressée à Pompidou « Quand toute la forêt aura brûlé, il n’y aura plus d’incendie » dénonçant le peu d’intérêt de l’état pour ces questions, est restée dans les mémoires. Lettre dans laquelle il soulignait tout de même, à juste mesure, l’importance de la présence de l’homme pour la sauvegarde des zones boisées. Il a passé sa vie à acquérir des écrins de verdure et de nature. D’abord son fief en Camargue, le domaine de Mejanes, en 1940. Puis l’île de Bendor et Les Embiez, respectivement en 1950 et 1958. Et puis d’autres. Engagé très tôt aussi dans la protection de la mer, l’Observatoire de la mer a été créé sur Les Embiez. Des écrins de nature que sa famille continue aujourd’hui de protéger, un peu jalousement, pour faire perdurer l’âme de ce grand homme.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

Au MX de Marseille, nouveau concept store dédié à Ricard aux Docks Village, les clients peuvent trouver une multitude d’objets et boissons de la marque.