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À partir de la fin du mois d’octobre 2001 débuteront en province et à Paris deux expositions « Kannibals et Vahinés » ayant pour thème l’imagerie occidentale de l’Océanie.

L’exposition qui avait été organisée par Roger Boulay en Nouvelle-Calédonie, au centre culturel Tjibaou, à Nouméa, et qui s’intitulait « Kannibales et Vahinés » sera désormais visible, sous une forme différente, à Paris, au Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, et à Chartres, au Musée des Beaux-Arts. Cette exposition entre dans la lignée de celles qui ont été présentées, depuis quelques mois, et qui mettent en scène (ou peut-être dénoncent ?) la vision que les Européens ont toujours eût des Océaniens. Vision très large allant des images d’Epinal et du Paradis sur terre aux angoisses liées au cannibalisme et à la sauvagerie.

KANNIBALS ET VAHINÉS, IMAGERIES DES MERS DU SUD

L’exposition de Paris « Kannibals et Vahinés, imageries des mers du sud » sera divisée en huit thèmes qui sont les plus récurrents dans l’imagerie populaire de la métropole :
Le cannibale dont l’allure générale, décrite par les littéraires du XVIIIe et XIXe siècle, servait à terrifier les enfants, celui dont il était dit que c’était l’archétype de la sauvagerie. Le voyage vers l’enfer que les aventuriers perdus dans le Pacifique devaient subir. La vahiné qui perpétue depuis la découverte des îles du Pacifique jusqu’à nos jours le mythe du beau sauvage et de la douceur de vivre. Elle représente, dans cette imagerie populaire, la femme légère et facile opposée à la femme métropolitaine toujours prude et chaste. Le voyage vers l’Eden qui symbolise l’arrivée des voyageurs dans des lieux accueillants après un long périple à travers les océans du monde entier. Les antipodes ou la tête à l’envers : puisque, sur la terre, le Pacifique est à l’opposé de la métropole, les gens qui y vivent ont forcément la tête à l’envers ! Les portes de la galaxie ou l’ailleurs absolu. Ces peuples dont on ne sait rien, ont sûrement des liens avec les extra terrestres ! L’île de Pâques et ses statues étranges et surhumaines en est un parfait exemple ! Le blanc encanaqué qui représente les marins et les naufragés ayant su s’adapter à la vie du Pacifique jusqu’à parfois devenir chefs de tribus. Et enfin le noir blanchi qui est la figure qui justifie la mission civilisatrice de l’occident dans le Pacifique. Ces huits thèmes seront présentés et développés à travers le musée mais aussi, de façon plus spécifique, à l’intérieur de onze farés typiquement polynésiens.

KANNIBALS ET VAHINÉS, LES SOURCES DE L’IMAGINAIRE

L’exposition de Chartres s’intitulera quant à elle « Kannibals et Vahinés, les sources de l’imaginaire ». À l’aide d’estampes, de dessins et de photographies du fond Bouge conservé à Chartres ainsi que des documents empruntés aux archives historiques de la Marine, au Musée de l’Homme, au Muséum d’Histoire Naturelle du Havre, ainsi qu’à d’autres institutions et collections privées françaises. L’exposition se divisera elle aussi en huit thèmes précis :
L’évolution de la représentation de l’Océanien vu par le regard occidental. Le dernier voyage de Dumont d’Urville comme exemple de circumnavigation scientifique et de collecte de représentation des peuples du Pacifique. En d’autres termes, l’exposition présentera le voyage d’un navigateur comme exemple. La littérature de voyage de grande diffusion avec comme référence « le tour du monde » mais aussi d’autres livres reprenant toujours cette thématique de la découverte de la planète. Grasset de Saint-Sauveur, et ses continuateurs, dont les estampes coloriées ont constitué un très riche répertoire pour les littératures de vulgarisation. Le mythe du cannibale, qui est en fait multiple car il représente différentes ethnies du Pacifique : le Marquisien, le Maori, le Kanak, l’Aborigène, et quelques autres comme les habitants du Vanuatu ou les Papous qui sont considérés par l’imagerie populaire comme les derniers cannibales survivants. La vahiné et en particulier la tahitienne qui a toujours symbolisé la beauté des mers du sud de l’époque de Cook jusqu’à nos jours, qui a toujours hanté l’imaginaire, surtout masculin, des occidentaux. Le rejet du passé cannibale et en particulier celui de quelques grandes familles polynésiennes ou mélanésiennes. L’exposition retracera l’histoire de ces familles royales, ayant appuyé leur pouvoir sur le christianisme, comme les Pomaré. Le thème des nouveaux primitifs abordera la revalorisation du passé des populations océaniennes au travers de multiples expositions sur le territoire métropolitain mais aussi des traditions renaissantes comme l’art du tatouage. Cette partie de l’expo abordera également le thème de la fascination des occidentaux pour un monde « primitif ».
Une grande exposition à Paris, une autre à Chartres, une troisième à La Rochelle, plus quelques-unes qui ont été (ou seront) plus discrètes… Nul doute que cette année 2001 est placée sous le signe du Pacifique partout en métropole ! Une aubaine pour tous les vrais amoureux de la Polynésie et de l’Art Océanien.

KANNIBALS ET VAHINÉS PAR ROGER BOULAY

Dans son livre, intitulé « Kannibals et Vahinés », Roger Boulay dresse un inventaire non exhaustif de toutes les références ayant trait à cette imagerie Européenne de l’Océanie. Il en fait également une analyse poussée, précisant bien en préface de son livre que pour lui, il existe une vérité non révisable qui est que les races n’existent pas et n’ont jamais existé. Les cultures, si ! Il dénonce les recherches du naturaliste Buffon, qui en son temps (1749) avait défini une hiérarchie dans l’espèce humaine. Selon Buffon « la beauté physique était donnée à l’origine et était blanche, la couleur étant un phénomène de dégénérescence : plus l’homme avait la peau foncée, plus il était laid ! ». Roger Boulay arrive à une conclusion théologique « c’est bien à la lutte des ténèbres contre la lumière que nous assistons. » Il donne une interprétation plus complète par, « on voit bien que le mythe des mers du Sud n’est que l’immense reprise en technicolor des mythes fondateurs de l’Occident : Adam et Eve, l’Enfer et le Paradis, la Belle et la Bête ». Il poursuit en expliquant de façon très juste le scénario qui accompagne toujours ces mythes « L’homme chassé du Paradis terrestre, perdant toute intelligence, saura peu à peu dépasser son état animal pour s’élever aux sommets de la civilisation et constituer un empire colonial en protégeant ceux qui n’auront pas su parcourir ce chemin de progrès… ».
À travers son livre, on découvre la personnalité de certains écrivains, que l’on a pu lire étant plus jeune, dont les écrits témoignent, entre les lignes, de cette adhésion « raciale » et des stéréotypes véhiculés. Imagerie encore (inimaginable !) présente au XXIe siècle. Il cite, pour illustrer ce fait, un jeu mondialement connu, où une jeune femme étudiante en archéologie arrive dans des îles du Pacifique et qui pour monter de niveau doit traquer l’indigène et dégommer des autochtones querelleurs ! Une des phrases cinglantes de ce jeu est « au bout d’une vingtaine de balles bien senties, ce boss (il s’agit du vieux sorcier polynésien) devrait déjà faire partie… du royaume des morts. Empochez fièrement la relique et adios Polynésie ! ». Roger Boulay a su traquer à travers des dizaines de livres la moindre phrase, voir expression, pouvant illustrer cette imagerie. Son ouvrage est comme le dit la couverture « un régal ethnologique ». Travail dont le thème est plus que jamais d’actualité, et dont le dépouillage n’est que le prémisse de ce qui pourrait une recherche à long terme.

Par Maeva Destombes