Le cinéma égyptien est à l’Orient ce qu’Hollywood est à l’Occident. Contribuant sans conteste à la définition d’une identité culturelle arabe contemporaine. Focus sur un monument du XX ème siècle.

Il aurait pu disparaître sans jamais renaître de ses cendres. Car le cinéma égyptien, malgré toutes les attaques qu’il a subi et continue de subir, n’est pas encore mort. Loin de là. Après une traversée du désert, dans les années 90, qui fit passer une production de 100 films à 10 films par an, le cinéma égyptien veut désormais sortir de ses frontières et s’internationaliser. Le formidable film “L’immeuble Yacoubian” sorti en 2006 sur nos écrans et réalisé par un jeune cinéaste d’à peine 30 ans, Marwan Hamed, nous le prouve malgré le courroux des journalistes et surtout des parlementaires égyptiens qui ont souhaité voir la suppression de certaines scènes sur l’homosexualité, accusées de propager “l’obscénité et la débauche”. Car aujourd’hui le cinéma égyptien, véritable vivier de nouveaux talents fraîchement sortis de l’Institut de cinéma, a plus que jamais trouvé sa voie, celle du réalisme absolu, véritable témoin de son époque. Il n’y a plus de genre à proprement parlé. “L’immeuble Yacoubian” brise les tabous les plus inavouables, homosexualité, proxénétisme, fanatisme, corruption… Un certain malaise d’une société égyptienne contemporaine. Avant, “Les secrets des filles”, de Yousri Nasrallah, en brisa d’autres. Comment en est-on arrivé à cet éclectisme qui fait aujourd’hui la caractéristique de ce cinéma ?

LA COMÉDIE MUSICALE ÉGYPTIENNE

Autrefois les communautés françaises du Caire ou d’Alexandrie rêvaient et se délectaient de la projection des films des frères Lumières ou de Georges Méliès dans les cafés sombres de ces deux métropoles. Dans les années 20, Mohammed Bayoumi réalisa quelques films, oubliés puis redécouverts depuis. Les premiers du cinéma égyptien dit-on.
En 1927 Aziza Amir réalisa “Laïla”, le premier film parlant du cinéma égyptien. Film initialement réalisé par Wadad Orfi, on dit que c’est finalement Aziza Amir qui termina ce long-métrage après s’être aperçu que le réalisateur en connaissait autant sur le cinéma qu’un novice en la matière !
Dès 1932, le chanteur Abdelwahad ouvre la voie d’un cinéma baroque et exubérant. Un nouveau genre est né, celui de la comédie musicale égyptienne. Au centre de la fable, une histoire d’amour souvent impossible, chantée et dansée, se terminant toujours avec le fameux happy end. Farid Al-Atrache, Samia Jamal, Mohamed Fawzi ou encore plus célèbre, la fameuse Oum Kalthoum, firent la gloire de ce cinéma. Des salles aux noms évocateurs (Le Rivoli, le Diana, le Miami, le Cosmos, l’Odéon, le Radio…) furent les écrins des comédies musicales de cette époque enchantée.
En 1939 un cinéma moins populaire voit le jour : celui du réalisme. Ce n’est alors plus dans les studios au décor kitch que l’on tourne mais dans les rues du Caire ou d’Alexandrie. Ce genre qui traverse la révolution de 1952, marque l’avènement de réalisateurs tels que Youssef Chahine, Atef Salem (« nous, les étudiants » avec Omar Sharif), Tawfik Saleh (« La ruelle des fous »), ou encore Henry Barakat.

UN RENOUVEAU DU CINÉMA ÉGYPTIEN ?

Entre 1963 et 1970, la révolution nassérienne nationalise le cinéma égyptien. Des années controversées mais qui auront le mérite de donner les moyens financiers à des œuvres audacieuses, critiques et libertaires, parfois virulentes. Cette période, prospère quant aux nombre des productions, permet au cinéma égyptien d’acquérir une renommée internationale et de révéler de nombreux réalisateurs bourrés de talents.
Entre 1970 et 1988, c’est la crise. Le nombre de film produit se réduit comme une peau de chagrin. L’Égypte, auparavant chef de file du cinéma Moyen-oriental, survit à peine dans le monde du septième art grâce aux films d’un Youssef Chahine (réalisateur entre autres de « Alexandrie pourquoi ? », « Le sixième jour », « Alexandrie-New-York »…), toujours critique et acerbe.
Et depuis 1988 ? Un renouveau paraît-il. Parmi les dignes successeurs de Chahine, Yousri Nasrallah (« vol d’été », « Mercedes », « la ville »), Radwan El Kashef (« la sueur des palmiers » ou « alcool de dattes » selon les traductions, « les violettes sont bleues »), Mohamed Khan (« Les jours de Sadate »), Daoud Abdel Sayed (« Kit Kat »)… Un renouveau placé sous le signe d’œuvres plus personnelles et contemporaines, non conformistes.
Aujourd’hui l’investisseur Good News Group qui a produit « L’immeuble Yacoubian » a de l’ambition pour le cinéma égyptien. Après « Halim » en 2006, deux superproductions pourraient permettre au Pays des pharaons de redorer son blason, « Mohamed Ali » et « Al-Qaeda » .
Alors, le cinéma égyptien retrouvera-t-il le prestige qui fut le sien ? Retrouvera-t-il sa place dans le Panthéon du septième art ? Affaire à suivre…