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U’u ou casse-tête des îles Marquises en bois de casuarina (bois de fer) sculpté de tiki avec une base ligaturée de fibres végétales ayant appartenu à la collection Lesson.

Depuis le 15 septembre et jusqu’au 29 novembre 2001, l’Espace d’Art Contemporain de La Rochelle présente une exposition itinérante ayant comme thème central la découverte du Pacifique – et plus particulièrement la Polynésie Française – par les explorateurs.

L’idée de départ est la réalisation d’une exposition faisant suite au CD Rom intitulé « Océanie, les grands découvreurs », racontant les différentes expéditions qui avaient permis aux Européens de découvrir les multiples îles du Pacifique. Du premier voyage de Bougainville en 1766, en passant par ceux de Cook, de La Pérouse ou Dumont d’Urville, et même ceux de Peter Dillon parti à la recherche de ses prédécesseurs disparus sans laisser de traces, ce multimédia entraîne le visiteur dans un voyage des plus inattendu. Flash-back et musique incantatoire plonge celui qui s’y intéresse, à un voyage dans le passé.

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Cet éventail des îles Marquises a une poignée sculptée en casuarina. La vannerie est en feuille de pandanus ou de cocotier. Cet objet appartenait aux chefs et aux prêtres qui l’utilisaient pendant les cérémonies religieuses. C’est un bien de famille qui était transmis de génération en génération.

DES COLLECTIONS OCÉANIENNES INESTIMABLES

D’abord présentée au musée de Rochefort, cette exposition, qui se déplacera durant deux ans, devrait, après la Rochelle, atterrir dans 6 autres villes de la région Poitou-Charentes. Le concept est plutôt simple et interactif : le visiteur participe à l’exposition en regardant les objets à travers des hublots. Ce n’est plus l’objet qui va au public, mais le public qui va vers l’objet. Cette exposition est une interrogation sur le regard que les métropolitains ont porté sur les océaniens, lors de la découverte des îles. Et comme question en vis-à-vis : qu’est-ce que cette rencontre a apporté aux océaniens ? L’autre but de cette exposition était de faire connaître les collections océaniennes de Poitou-Charentes, qui recèlent en leur sein des trésors inestimables. Collections devant amener les visiteurs à s’interroger sur ces peuples et leur passé mais aussi sur l’attitude des Européens lors de leurs premières « visites » dans ces territoires reculés. L’un des messages de cette exposition est clair : « Les musées de province sont trop méconnus, et bien que ce soit Paris qui prédomine dans le domaine de l’Art, il ne faut pas que les richesses des musées de Paris effacent les richesses des musées de province », affirme Elise Patole-Edoumba, chargée des collections ethnographiques au Muséum de La Rochelle.

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Maquette de pirogue, dont la voile a disparu, des îles sous le vent.

UNE SCÉNOGRAPHIE QUI INVITE LE VISITEUR À UN VOYAGE

Sténographiquement parlant, cette exposition se présente comme une sorte d’île géante composée de « niches », dotées de hublots de différentes tailles, qui permettent aux visiteurs de voir les objets. L’emplacement de ces embrasures oblige parfois le spectateur à faire un effort, soit pour voir les objets dans leur totalité, soit pour les voir sous des angles différents. Certains hublots, disposés à hauteurs d’enfants, peuvent servir aux adultes pour cette vision différente. À l’intérieur des niches, les objets sont souvent présentés dans une ambiance sombre ou tamisée. Des textes, tirés du CD Rom, et dictés à haute voie, retracent les différentes histoires des explorations. De 1769 à 1827, Bougainville à la recherche du Paradis ou Dumont d’Urville et le commerce du Paradis. La disposition de l’exposition laisse imaginer que le visiteur est embarqué sur un navire et qu’à travers les hublots, il découvre le Pacifique. Une quarantaine d’objets, répartis dans les 12 niches, logent pour certains avec des minis écrans projetant des films ethnographiques. À travers chaque objet, c’est un pan de la culture océanienne pré ou post-découverte qui est donné à être admiré par le visiteur. Le tambour des îles marquises, présent dans la première niche, sert d’introduction à un texte sur la musique, les chants et les fêtes qui accueillirent les marins lors de leur arrivés sur les îles.

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DES OBJETS EMPREINTS DE CÉRÉMONIAL

Puis on découvre une hache ostensoir de Nouvelle-Calédonie. Loin d’être un objet servant aux sacrifices humains, ou à découper les cadavres, les découvertes ethnographiques présentent cet objet comme un symbole de prestige du groupe ou de l’individu, qui la détient au moment d’un combat ou d’un discours. C’était également un objet qui servait dans les échanges tribaux. Le poids de la pierre est tel qu’il aurait été matériellement impossible de dépecer un humain avec. Au premier coup, nul doute que l’objet se serait brisé.
La troisième niche présente des objets de parure cérémonielle comprenant un vertugadin de Tahiti fabriqué avec du tapa plissé, replié en 6 épaisseurs et noirci aux extrémités ; un peigne de l’Archipel Amirauté ; un brassard du Vanuatu ; un collier de 16 rangées de coquillages ; un bracelet ; un éventail. Accompagnant ces objets de différentes îles, un texte met en valeur l’importance qu’avait la parure en Océanie. Celle-ci exprimait non seulement l’identité de la personne humaine par opposition à l’animal, mais aussi l’identité d’une communauté et à l’intérieur de celle-ci du rang social d’un individu ou de sa famille. Cette partie de l’exposition souligne également l’importance du tatouage. Considéré comme un vêtement, il se doit d’être enlevé après la mort, pour que le défunt retrouve son état naturel. Ce que n’explique pas l’exposition est comment retire-t-on un tatouage ? La variété des ornements était riche et variée, surtout en ce qui concernait la coiffe. En effet quelle autre partie du corps que la tête pourrait symboliser un caractère si symbolique. La tête n’est-elle pas le siège de l’esprit, et celui-ci n’est-il pas ce qui reste après la mort ?

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Vertugadin en tapa blanc plissé et replié sur 6 épaisseurs, noirci aux extrémités et provenant de Tahiti.

L’IMPORTANCE DE LA GUERRE DANS LES SOCIÉTÉS OCÉANIENNES

La niche suivante nous conduit au cœur de la question. Un crâne-trophée y est exposé. Sa décoration de tapa et d’une guêtre de militaire laisse supposer qu’il s’agirait du crâne d’un marin. Le nom de l’espace « Méfie-toi, James Cook ! » accentue cette supposition. Les têtes prises chez ses ennemis, servaient de faire-valoir à leurs possesseurs. Une corde permettait de « promener » ce crâne-trophée et empêchait à son ex-propriétaire d’accéder à la paix éternelle et au royaume sous-marin des morts (Havaiki). Cet objet ne supportant que très peu les déplacements, dans les expositions suivantes il sera remplacé par un crâne-relique de Nuku-Hiva. Comme pour perpétuer le mythe du sauvage, 2 casses-têtes accompagnent ce crâne-trophée.
La cinquième alcôve, présente un magnifique tiki en cocotier évidé, faisant par cette introduction visuelle, référence au Mana et au Tabou. Ces deux notions étant essentielles à la compréhension des sociétés océaniennes.
Ensuite, honneur à la pêche. Hameçons, tiki à deux faces servant de lest pour les filets de pêche et conque marine des îles Marquises, maquette de pirogue des îles sous le vent, siègent donc en bonne place. La pêche étant une activité empreinte de spiritualité comme le laisse supposer le tiki de la conque.
La guerre avait une place importante dans les sociétés océaniennes. Massues des îles Fidji et des îles Samoa, Casse-têtes et couteau des îles Marquises, ces objets symbolisent plus les petites joutes de voisinage que de guerre extrêmement sanglante et totale. Les armes pouvaient être offensives (massues, casse-têtes, frondes, lances, sagaies…) ou défensive comme les boucliers. Les haches ostensoirs et les herminettes, par exemple, étaient quant à elles beaucoup plus raffinées et richement décorées (surtout dans la période post-découverte) et avaient une fonction cérémonielle.

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Pierre volcanique sculptée de deux tiki inversés, perforé au milieu avec une cordelette en fibres tressées. Cet objet de Nuku-Hiva servait de lest pour les filets de pêche.

DES COUTUMES ANCESTRALES OUBLIÉES

La huitième cavité présente, entre autres, deux coutumes dont l’une est peu connue des Européens : la fabrication de la Popoï. Fabriquée avec le fruit de l’arbre à pain, fermenté puis épluché et pilé à l’aide du penu (pilon tahitien), et enfin mélangé à du lait de coco, cette coutume semble être largement passé aux oubliettes. Même par les Polynésiens ! Un vase d’Hawaii, dit vase à popoï, et un pilon de Tahiti sont présentés pour matérialiser cette tradition. L’autre coutume est la fabrication du Kava. Cette niche présente également des objets de la vie quotidienne comme des paniers, calebasse, chapeau et battoir servant à la fabrication du tapa.
Un masque funéraire de Nouvelle-Calédonie, ayant servi à la création de l’affiche, occupe la neuvième niche. Les masques étaient pour les Kanak, la représentation de l’esprit du chef défunt revenu dans le royaume des vivants, le temps d’un rituel.
L’espace suivant met en évidence la différence de statut ayant existé dans les populations océaniennes. Les sociétés s’organisaient en classes. Les nobles étant au sommet de la hiérarchie, suivis par les prêtres, les guerriers en enfin les gens du commun. Aux îles Marquises, par exemple, les aristocrates se distinguaient par la possession d’objets tels que les éventails, les colliers ou les pendentifs.
Le visiteur découvre ensuite une sculpture à planter de Nouvelle-Calédonie. Cet objet évoquant le chef mort mais toujours protecteur.

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L’oiseau de Paradis. Sa beauté est loin d’être un mythe.

DES LÉGENDES DÉTRUITES, D’AUTRES CRÉÉES PAR LES EXPLORATEURS

Le circuit se termine par un mythe ayant perduré pendant des décennies. Il s’agit de celui du paradisier, cet oiseau qui vivait de la rosée et qui ne s’était jamais posé depuis le déluge, puisqu’il ne possédait pas de pattes. René Lesson, qui faisait alors parti de l’expédition Dumont d’Urville, en 1827, avait mis un terme à cette légende en apportant la preuve que les oiseaux qui étaient alors naturalisés par les papous, étaient entièrement vidés de leurs entrailles et leurs pattes tout simplement rentrées. Les explorateurs ont créé de nombreux mythes rattachés aux peuples océaniens mais en ont détruits de nombreux autres. Pourquoi sacrifier le mythe du paradisier au mythe du sauvage cannibale ?
De telles questions restent en suspend. Tout comme les mystères polynésiens ou mélanésiens qui sont à l’heure actuelle irrésolus, par les Européens, et dont seuls quelques vieux sages ont peut-être la solution. Pourquoi chercher à percer absolument et à mettre à jour, voir à mettre aux nues, l’histoire des peuples océaniens ? Ne doit-on pas sauvegarder les secrets de chaque peuple, dont seul l’au-delà aurait la clef ? Les objets murmurent, mais ils ne diront peut-être jamais tout ce qu’ils savent…
L’exposition qui est itinérante, pourrait-elle s’arrêter en Polynésie ? Le coût d’une telle opération oscillerait entre 76100€ et 152300€, et mobiliserait de hautes technologies de conservation. Certains objets sont intransportables mais la grosse majorité pourrait être déplacée. L’autre solution, et non la moindre, serait que les océaniens se rendent en Poitou-Charentes pour voir cette exposition !

Par Maeva Destombes