Pour la première fois depuis son histoire, le Muséum d’Histoire Naturelle de La Rochelle a ouvert les portes de ses réserves à deux journalistes. Certaines collections ethnologiques ont vu le jour grâce aux médecins naturalistes, passionnés d’Océanie. D’autres, par les militaires en mission sur les différentes îles. Un héritage culturel pourtant souvent ignoré.

UN NOMBRE INCROYABLE DE PIÈCES ENTREPOSÉES DANS LES RÉSERVES

Les réserves du muséum d’Histoire Naturelle de La Rochelle, situé dans les profondeurs du sous-sol, recèlent des trésors inestimables, comme la plupart des musées. Entreposés dans des armoires coulissantes, c’est en tout 5500 pièces ethnographiques, 200000 pièces d’histoires naturelles, 10000 pièces de la préhistoire que compte ce musée. Deux laboratoires permettent aux chercheurs d’étudier ces pièces, d’en définir la datation, l’usage qu’il en était fait à l’époque de leur création, et donc de déterminer grâce à tous ces éléments, quelle a été la façon de vivre de nos ancêtres, quelque soit le lieu où ils ont vécu. Ces réserves ont donc une fonction de classement et d’information des collections. On détermine aussi leur état, afin de savoir si une restauration est possible. Certaines pièces font partie d’un programme de rénovation.
Ces objets, pour la plupart ne seront jamais vus par le public, car ils sont en majorité impossible à exposer. Les musées de province étant la plupart du temps très petits, c’est aussi un manque de place servant à une exposition qui est la cause de cette non exposition. Mais pas uniquement. En effet certaines pièces pourraient connaître la gloire dans les expositions que donne souvent la capitale. Cependant certaines, de très nombreuses même, sont intransportables car très fragiles. Les contraintes liées à la conservation sont parfois extrêmement drastiques.

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Masque Elema de Papouasie Nouvelle-Guinée ayant appartenu à la collection d’André Breton. Cet objet fut vendu à Drouot en 1931. Les surréalistes préféraient l’Art Océanien à l’Art Africain. Mais ils préféraient l’Art Mélanésien, à l’Art Polynésien, qu’ils trouvaient plus riche et moins classique.

UNE BIBLIOTHÈQUE RÉFÉRENÇANT 300000 OUVRAGES

Le muséum d’Histoire Naturelle de La Rochelle, outre ses fabuleuses collections de toutes les époques, possède également une importante bibliothèque scientifique originale datant de l’époque de Cook. C’est environ 300000 livres référencés et délicatement enveloppés de papiers de soie, que l’on a pu apercevoir dans quelques rayons. En linéaire cela correspond à 1km200 de fonds anciens très importants. Seuls les chercheurs ou les étudiants travaillant sur un mémoire sont habilités à étudier ces livres.
Les réserves du musée contiennent entre 1800 et 2000 pièces Océaniennes. Une dizaine de pièces – voire une vingtaine – sont d’origine polynésienne et ont été récoltées depuis les années 1920. Quelques objets de ce musée, comme la statue de Mangareva, appartenaient à Etienne Lopet, qui en avait fait don au musée. D’autres ont été donnés par le musée naval du Louvre (actuel musée de la marine), qui vers 1923 voulait se débarrasser des pièces d’Océanie (mais aussi d’Afrique, de chine…), à l’époque dénuées d’intérêt (pour ce musée) et sujettes au rejet. Ce sont donc, à ce moment-là, les musées de province qui ont récupéré ces collections. Mais comment a-t-on protégé ces objets durant la seconde guerre mondiale, qui a tout de même connu de nombreux pillages ? La chance, beaucoup de chance. Un facteur qui semble entourer tout ce qui concerne l’Art.

DE NOMBREUX OBJETS DES MARQUISES MAIS PEU DE TAHITI

Les objets provenant de Polynésie Française y sont très peu nombreux. Ils proviennent la plupart du temps des Marquises et datent de l’époque de Bougainville. Ceux de Tahiti, et des îles de la société, sont quant à eux rarissimes. 44% des pièces sont des armes. L’explication est peut-être très simple : à l’époque de la collecte coloniale, c’était surtout des militaires qui débarquaient sur les îles du Pacifique, ils s’intéressaient donc à ce qui symbolisait l’armée, c’est-à-dire les armes. Le musée possède très peu d’armes de Polynésie hormis les casse-têtes. Certains objets ont parfois été sauvés in extremis. Par exemple la statue de Terii a Patura a été récupérée à Mangareva alors que les habitants mettaient au feu toutes les statues de l’île.

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Coiffe et costume de danse, en lanières de feuilles de cocotier, du prince Hinoï, fils de la reine Pomaré.

LES MISSIONNAIRES ONT INFLUENCÉ L’ART POLYNÉSIEN

La plupart des objets datent de la période post-découverte, mais quelques-uns sont quant à eux de la période prè-découverte, ce qui permet de remarquer un changement de style très net, une influence certaine des missionnaires et des marins. Par exemple sur les casse-têtes des îles Marquises, le style est de plus en plus chargé en gravure, mais fait de manière moins soignée. Les matériaux sont également différents. Un casse-tête qui était alors destiné à un Marquisien, et dans ce cas qui revêtait toute la valeur religieuse et spirituelle qu’on lui accordait, était fabriqué dans un bois très dur, très précieux, alors que le même objet destiné à un métropolitain était fait dans un bois plus tendre. Les marquisiens de l’époque se sont en effet adaptés à la demande. Ils étaient très observateurs et s’étaient rendu compte que les Européens étaient friands des motifs marquisiens et des tikis, c’est pourquoi les pièces post-découverte sont pratiquement entièrement recouvertes de ces motifs alors qu’auparavant c’est leur discrétion qui faisait la beauté de l’objet et son aura spirituelle.

UN ART ADAPTÉ À L’ESTHÉTISME EUROPÉEN

Peut-on dire que l’art s’est enrichi lors du contact ou qu’au contraire, il s’est appauvri ? Le devoir d’un musée est d’expliquer qu’une pièce était destinée, soit aux Européens, soit aux Polynésiens, mais ne pourrait-on pas répondre à cette question en essayant de voir ce que les polynésiens, éthnologiquement parlant, ont apporté aux Européens. Peut-être une manière propre aux Polynésiens de sculpter ? Mais dans ce cas une question suit. Les Européens sculptent-ils comme les Polynésiens, utilisent-ils les techniques ancestrales polynésiennes ? Existe-t–il en métropole un artisan menuisier qui travaille à la manière marquisienne ? La démarche mise en place dans le programme des rénovations de la Rochelle inclut l’information du public, par le biais des expositions, sur un fait indéniable : il y a eu une adaptation de l’art marquisien, et de façon plus générale de l’art polynésien, pour la satisfaction des Européens. Certaines pièces n’ont même jamais servi aux Polynésiens et étaient fabriquées uniquement pour les Européens.

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Plat à Kava de Polynésie.

L’ART POLYNÉSIEN, SOURCE D’INSPIRATION DE NOMBREUX ARTISTES CONTEMPORAINS

D’autres formes d’artisanat ont également suivi cette voix. Le patchwork en appliqué (tifaifai) en est une belle démonstration. L’Océanie n’aurait-elle alors apporté que des objets servant à être collectionnés ou exposés ? On sait aujourd’hui que des mots tels que tatouer ou tabou viennent de la langue polynésienne, mais est-ce la seule chose que les Européens ont su conserver de leur passage dans les îles ? À l’heure actuelle l’influence du concept « Polynésie », avec tout ce que cela évoque comme exotisme, semble avoir conquis les sociétés européennes. Les artistes contemporains s’inspirant de la Polynésie sont de plus en plus nombreux. Et même si parfois certaines œuvres pourraient être considérées comme du plagiat, l’artiste invoqué explique toujours sa démarche comme l’expression de son inspiration lors d’un voyage.
Les musées français recelant de tels trésors sont peu nombreux. Une dizaine d’établissements possèdent en effet ce privilège d’exposer ou de posséder des collections Océaniennes. Malheureusement, qui dit analyse d’un objet, inclut des techniques telles que le prélèvement de carottes. Techniques n’étant pas sans conséquence pour l’objet. Les chercheurs admettent que pour percer les différents mystères entourant l’Océanie et son histoire, des « sacrifices » sont nécessaires. D’autres objets, si rares, auront la vie sauve et permettront de garder le secret qu’ils transportent depuis toujours.