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Suite à l’exposition Recherche en Outre-Mer à la Cité des Sciences et de l’Industrie, nous avons rencontré Anna-Bella Failloux et Marie-Christine Vazeille, deux chercheurs de l’Institut Pasteur, qui ont tenté de faire toute la lumière sur la dengue, cette maladie peu connue en métropole.

QU’EST-CE QUE LA DENGUE ?

C’est une maladie due à un groupe de 4 virus qu’on appelle très simplement les virus de la dengue 1, 2, 3 ,4 sans noms extrêmement scientifiques. Ces virus sont transmis à l’homme par les moustiques, qui sont donc les vecteurs de la maladie. Le virus ne se réplique que chez l’homme et c’est en le piquant, que le moustique femelle va devenir vecteur en piquant ensuite un autre individu. Cette maladie est moins connue que la fièvre jaune ou le paludisme mais a une répartition géographique très large qui concerne toute la zone inter-tropicale.

QUELS SONT LES SYMPTÔMES DE LA DENGUE ?

Deux types de dengue ont été détectés à ce jour. L’une, dont la forme est appelée classique et qui était jusqu’en 1950 la seule connue. Ses symptômes sont similaires à ceux de la grippe : forte fièvre, maux de tête, nausées, douleurs musculaires… En 1952, aux Philippines, est apparue pour la première fois, une forme plus grave : la dengue hémorragiques. Aux symptômes de la dengue classique se sont rajoutés des symptômes hémorragiques de gravité variable, allant d’une dengue plutôt bénigne à la mort du patient, dans le pire des cas. Dans ces symptômes hémorragiques, on peut citer par exemple ce que l’on appelle la fuite du plasma c’est-à-dire une concentration du sang qui peut provoquer un état de choc chez le malade et provoquer sa mort. Les enfants sont plus sensibles que les adultes à cette forme hémorragique grave.

DANS QUELLES ZONES GÉOGRAPHIQUES SÉVIT LA DENGUE ?

Le point chaud de la dengue se situe dans l’Asie du Sud-Est. C’est en effet de là que partent toutes les épidémies de dengue. Mais la répartition de cette maladie est très vaste : Amérique du Sud, Amérique centrale, Afrique (sur ce continent il n’y a jamais eut de grosses épidémies et de cas hémorragiques). On distingue deux zones : la zone endémique et la zone épidémique. L’Asie du Sud-Est est une zone dite endémique c’est-à-dire une zone dans laquelle le virus est présent et transmis toute l’année. Cette région est même appelée zone hyper-endémique car les quatre types de virus y circulent en même temps tout le long de l’année. Les zones épidémiques sont des régions où le virus est introduit, circule quelques temps puis disparaît. Par exemple la Polynésie ou les Antilles. Les épidémies sont très variables et malheureusement pour l’instant, imprévisibles. L’OMS estime le nombre de cas à 100 millions par an dont 250000 cas hémorragiques. En Polynésie, durant l’épidémie de 1996-1997, 14500 ont été suspectés à cause des symptômes observés. Sur 4000 cas qui ont été analysés cette année-là, 2000 cas ont été confirmés. On est donc sûr que cette épidémie de 1996-1997 a provoqué 7000 cas confirmés.
Le seul vecteur de cette maladie est le moustique Aedes Aegypti. Mais différents mystères sur ce virus subsistent. En effet, le vecteur est nécessaire pour qu’il y ait transmission de la dengue mais ce n’est pas parce qu’il y a ce moustique dans une zone, qu’il y a forcément la dengue. Madagascar est une zone où le moustique existe mais où il n’y a jamais eut la dengue alors que sur des îles non lointaines comme la Réunion, le moustique présent a provoqué des épidémies. Ce cas très étrange est également très intéressant d’un point de vue scientifique. Les chercheurs ne comprennent pas pour l’instant les raisons et l’un des buts de la recherche sera de résoudre ce mystère de la nature.

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Les larves du moustique Aedes Aegypti ont besoin d’eau pour se développer. Copryright Smuay/Shutterstock.

QUEL EST LE CYCLE BIOLOGIQUE DU MOUSTIQUE ?

Les femelles du moustique Aedes Aegypti piquent car elles ont besoin des protéines contenues dans le sang pour fabriquer leurs œufs. Elles piquent. Elles digèrent le sang durant 4 jours. Elles pondent leurs œufs sur l’eau. Ceux-ci éclosent puis deviennent des larves, des nymphes et enfin des moustiques adultes. Ce cycle est très dépendant de la température. Plus il fait chaud, plus le moustique se développe rapidement. Il est appelé anthropophile c’est-à-dire qu’il se nourrit très exclusivement sur l’homme, ce qui n’est pas le cas de tous les moustiques. Certains se nourrissent sur les animaux (oiseaux, autres vertébrés). Il est diurne, donc pique le jour. Il est endophile c’est-à-dire qu’il aime se reposer à l’intérieur des maisons où se retrouvent des humains et des gîtes de pontes artificiels ou plus exactement des points d’eau comme les vases, les récipients d’eau, les fûts… C’est un animal très adapté à l’environnement humain. Contrairement au moustique responsable de la filariose, Il ne pond pas ses œufs dans la nature comme les creux d’arbres, les creux de rochers, les tas de feuilles, les noix de coco… Outre les vases et les fûts, il pond également dans les pneus que les gens entassent près de leur maison, les décharges… Et fait très important, c’est une espèce très résistante. Ses œufs peuvent survivre plusieurs mois en l’absence d’eau. En saison sèche, les œufs restent intacts et dès la saison des pluies vont reprendre leur maturation et éclore pour continuer leur cycle.

QU’EST-CE QUE LE VIRUS DE LA DENGUE ?

C’est un virus qui appartient à la famille des flaviviridés, genre flavivirus, qui existe sous 4 formes. Ce virus est appelé un arbrovirus (arthropod borne virus) c’est-à-dire qu’il est transmis par les anthropodes (moustiques). Lorsqu’une personne contracte le virus D1, il est immunisé un certain temps contre ce virus mais non contre les 3 autres types de virus. On estime qu’un individu peut donc avoir au moins 4 fois la dengue dans sa vie. Ce virus est un parasite strict c’est-à-dire qu’il ne peut se développer que sur une seule espèce d’hôte. En l’occurrence, l’homme. Pour se multiplier, il doit absolument « parasiter » une cellule car il ne possède qu’un acide nucléique. Soit l’ADN, soit l’ARN. Lorsqu’un virus pénètre dans une cellule, il libère soit son ADN, soit son ARN et va utiliser toute la machinerie cellulaire en la détournant à son profit. La cellule infectée ne pourra plus effectuer sa propre synthèse et va uniquement multiplier le virus. Ce processus entraîne la mort de la cellule. Malheureusement, les virus ne sont pas sensibles aux antibiotiques. En effet, lorsque l’on administre des antibiotiques lors d’une maladie – comme la grippe par exemple – ce n’est pas pour tuer la grippe mais les bactéries qui pourrait profiter de l’état de faiblesse du malade et l’infecter. À l’heure actuelle, il n’y a aucun composé chimique actif contre les virus. Ce virus contenu dans le sang de l’homme passe dans l’estomac du moustique lorsqu’il pique un humain, puis dans les cellules du tube digestif, pour enfin être libéré dans la cavité générale. L’infection de l’hémolymphe (le sang du moustique) va provoquer l’infection des glandes salivaires. Lorsqu’un moustique pique, il injecte de la salive pour empêcher la coagulation du sang. Une fois contaminé par le virus, le moustique reste vecteur de la maladie toute sa vie. Il peut donc contaminer plusieurs personnes. Un humain infecté incube la maladie durant 5 à 7 jours, période où il peut transmettre sa maladie à un autre moustique qui la transmettra dès qu’il piquera un autre humain.

COMMENT NAÎT UNE ÉPIDÉMIE DE DENGUE ?

Pour que le virus apparaisse dans une zone non endémique mais où il existe le vecteur, il faut qu’il soit introduit, la plupart du temps par un ou plusieurs voyageurs infectés venant d’une zone endémique. Lors de l’apparition du phénomène, les autorités sanitaires vont surveiller les premiers cas. Si la situation s’amplifie, l’alerte va être donnée et un programme de prévention et de démoustication va être lancée. Lutter pour faire diminuer le nombre de vecteurs épidémiques dure en général une année.

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Campagne de démoustication en Polynésie Française. Copyright ThamKC/Shutterstock.

QUELS SONT LES FACTEURS FAVORISANT L’APPARITION D’UNE ÉPIDÉMIE ?

Il faut tout d’abord qu’il y ait une entrée fréquente du virus sur le territoire donc des échanges fréquents entre les zones endémiques et les zones considérées. Une seule personne ne suffit pas dans l’absolu à provoquer une épidémie. Il faut également que le moustique soit en abondance dans la zone et qu’il y ait de nombreux contacts homme-moustique, mais que la population humaine soit elle aussi dense. Le moustique est en abondance lors de la saison des pluies en zone tropicale. Il faut aussi qu’il y ait des villes car la dengue est une maladie de ville et non de campagne ou des champs comme la filariose.
L’un des premiers facteurs est donc l’existence d’un aéroport international dans la zone, facteur très favorisant dans la propagation d’une épidémie. Avant 1960, date à laquelle fut ouvert l’aéroport international de Faa’a, on n’avait décelé qu’une épidémie de dengue (de type 1) en 1944. Le Pacifique fut atteint à cette époque en partie à cause des mouvements de troupes de la seconde guerre mondiale. Avant l’ouverture de l’aéroport, seuls les bateaux arrivaient en Polynésie. Les gens contaminés avaient donc largement le temps de développer la maladie (5 à 7 jours) et d’arriver guérit sur le territoire, sans risque de transmettre la maladie. La Polynésie a été infectée en 1964 (D3), 1969 (D3), 1971 (D2 avec des formes hémorragiques graves), 1975 (D1, 1979 (D4), 1988 (D1), 1989 (D3), 1996 (D2).

COMMENT SE PROTÉGER DE LA DENGUE ?

Il n’y a pas de traitement préventif contre la dengue, pas de vaccins disponibles mais beaucoup de recherches sont effectuées pour trouver des solutions pouvant éradiquer cette maladie. La difficulté des recherches réside dans le fait qu’il faut trouver 4 vaccins contre les 4 virus différents. Se sont des recherches longues et coûteuses. La seule chose que l’on puisse faire, à l’heure actuelle, est de réhydrater le malade. Pour empêcher la transmission de la maladie, le seul moyen est d’agir contre le vecteur. Il faut instruire et informer les populations. Expliquer que la dengue est due à un moustique et qu’il faut alors se protéger contre ses piqûres, avec des insecticides (soit contre le moustique adulte, soit contre les larves). Il faut également détruire les gîtes larvaires et supprimer tout ce qui autour des maisons peut contenir de l’eau. Vider ces réservoirs régulièrement pour que s’ils contiennent des petites larves, celles-ci soit stoppées dans leur développement. L’utilisation des répellants fonctionne également de façon efficace. Ces produits à appliquer sur la peau ont une odeur qui déplaît aux moustiques et les empêchent de venir piquer. Il faut aussi utiliser des moustiquaires pour les jeunes enfants faisant la sieste. La présence d’air conditionné dans une maison a tendance à protéger beaucoup plus qu’une maison complètement ouverte. Des campagnes d’affichages expliquant la manière de se protéger et des campagnes d’information dans les écoles permettent de toucher un grand nombre de personnes.

D’OÙ VIENT LE TERME DE DENGUE ?

L’origine du terme comme l’origine de la maladie est assez méconnue à l’heure actuelle. On suppose trois sources d’origine. Le terme « denga » viendrait du Swahili et serait l’abréviation de « ke denga pepo » ce qui veut dire « les gens possédés par un mauvais esprit », ou de l’espagnol « denguero » ou de l’anglais « dandy », ces deux derniers termes signifiant des gens un peu coincé, ne se déplaçant que de façon très droite, un peu à la manière d’une personne atteinte. L’autre terme anglo-saxon de la dengue est « break bone fever » ou la fièvre qui casse les os.

EXISTE-T-IL UN VACCIN CONTRE LA DENGUE ?

Ce moustique peut transmettre le virus à ses œufs mais le taux étant très faible on dit qu’il est négligeable dans une épidémie. Le virus n’est pas contagieux d’homme à homme hormis dans les cas de transfusion sanguine. Pour l’instant, la recherche à des pistes de vaccins effectuées en Thaïlande. Ces vaccins à base de virus atténué – c’est-à-dire qui se développe tout en étant très faible – peuvent malheureusement être absorbés par un moustique qui peut transmettre le virus à un autre humain. Des recherches sont effectuées pour trouver des vaccins synthétiques, mais cela coûte très cher. Les américains et l’armée américaine ont beaucoup financé les travaux sur la dengue car à ce moment-là (durant la deuxième guerre mondiale par exemple) ils avaient beaucoup de troupes en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique. À l’heure actuelle, cet état de fait n’est plus vrai mais les USA continuent de travailler sur ces recherches, car c’est une maladie répandue. L’une des difficultés de la recherche est l’absence de modèle animal. Le singe par exemple peut être sensible au virus sans toutefois développer la maladie comme chez l’homme.

PEUT-IL Y AVOIR UNE ÉPIDÉMIE DE DENGUE EN EUROPE ?

La dengue a existé en Europe au début du 20e siècle. Il y a alors eût une épidémie dans le bassin méditerranéen et surtout en Grèce. Un million de cas ont été alors détectés et 100000 personnes sont mortes. Le moustique vecteur de la dengue aime la chaleur et fuit les climats tempérés. Il était très présent dans le bassin méditerranéen mais en a été éradiqué. S’il était de nouveau réintroduit dans ce bassin, il pourrait provoquer une épidémie. En Amérique du Sud, il avait été éliminé mais le manque de finances a provoqué sa réinstallation. L’année 2000 a même vue une épidémie de dengue à New-York !

L’une des missions principales de Marie-Christine Vazeille est de comprendre pourquoi certaines zones possèdent le moustique mais ne développent pas la maladie et pourquoi d’autres zones possèdent et le moustique et la maladie.

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