Le Chihuahua est une région du Mexique méconnue des touristes lambda. Hors des circuits habituels, enclavée entre le Texas au Nord, le Sinaloa, le Sonora, le Coahuila de Zaragoza, le Durango, elle semble vivre hors du temps. Entre paysages saisissants, architecture coloniale ou néo classique et douceur de vivre, ses trois communautés y cohabitent en toute harmonie.

Il ne faut pas s’attendre à trouver des chiens Chihuahuas à tous les coins de rue. Il n’y en a pas ! Ou du moins leurs propriétaires les sortent peu car les pensent trop fragiles pour affronter le climat parfois rude de cette région. La chaleur du Yucatán est en effet très loin. Les températures oscillent généralement entre 2 °C minimum en décembre et janvier et 34 °C maximum en juin. Les minimales pouvant atteindre -7/8 °C et les maximales parfois 39/40°C. Mais si la chance de rencontrer sur sa route ce petit chien aux yeux exorbités est quasi inexistante (du moins dans sa version pure race), d’autres rencontres combleront la soif de découverte de ces voyageurs qui poussent leur route dans cet état, injustement oublié des circuits. L’état de Chihuahua ne se résume pas à la seule ville de Juárez, tristement célèbre pour détenir la palme mondiale de la criminalité (notamment féminicide), juste après Tijuana, autre ville du Mexique, situé en Basse-Californie. Loin de là ! Hormis cette exception peu éblouissante, le Chihuahua est un état où règne une ambiance plus que paisible.

CHIHUAHUA, ENTRE PASSÉ COLONIAL ET RÉVOLUTION

Dans la capitale de l’état éponyme, fondée en 1709 par Don Antonio Deza, les musées et bâtiments historiques racontant l’épopée de la ville et du Mexique sont légion. La cathédrale métropolitaine de la Sainte-Croix de Notre-Dame de Regla et de Saint François d’Assise, achevée en 1792, est un bon point de départ pour sillonner le centre ville. Cet édifice est considéré comme l’un des plus beaux exemples de l’architecture coloniale du Nord du Mexique. Situé sur la Plaza de Armas, il est conçu dans un pur style baroque espagnol, complexe et un brin exagéré – face à un classicisme tout en sobriété – frisant parfois le rococo notamment la porte du transept sud du Saint-Sacrement. Une profusion de détails et une exubérance illustrant Notre-Dame de Regla (la Vierge Noire) et ses suppliants, Saints François d’Assise et Rita de Cascia, les patrons de la ville, au-dessus des Hébreux Shadrach, Meshach et Abednego dans la fournaise ardente.

Au fil des rues piétonnes, les édifices du 19e et 20e siècle se succèdent : la Casa Chihuahua, le Musée d’Art Sacré, le Théâtre Colonial et le Palais du Gouvernement, construit dans un style néoclassique où des peintures murales réalisées en petite partie par Aarón Piña Mora, sur les murs intérieurs donnant sur un patio central, retracent l’histoire et l’économie de l’état. La Casa Chihuahua (Centro de Patrimonio Cultural) présente sur plusieurs étages l’histoire de l’état et des expositions temporaires. Alfred Cota y a exposé en 2021 avec ses œuvres dont son impressionnant Gorille installé à l’extérieur du musée, non loin des Alas de Mexico de Jorge Marín. Autre artiste à découvrir à l’intérieur, Anthony Quinn, né à Chihuahua. Plus connu comme acteur aux 250 films, il a également été peintre et sculpteur dans la seconde partie de sa vie. Son père a été compagnon d’armes de Pancho Villa, dont la fresque en demi-relief représentant sa vie et sa mort impressionne sur la Plaza Mayor ou Plaza de la Grandesa de Chihuahua Downtown. Les fans du personnage iront admirer la voiture criblée de balles, dans laquelle il a été assassiné, installée dans son ancienne maison devenue Musée historique de la Révolution. Des objets personnels à profusion ou ayant appartenu à l’armée révolutionnaire y sont également exposés.

CHIHUAHUA, UNE CAPITALE VIBRANTE ET ANIMÉE

Au centre ville, à deux pas de la cathédrale, les rues piétonnes (ou pas) abritent des marchés couverts où se concentre la vraie vie des Chihuahuenses, en partie de la communauté des mestizos. Les jeunes, habillés comme tous les ados du monde, jeans, baskets et sweat shirt oversize, casquette à l’envers, s’amusent à poser pour les rares touristes armés d’appareils photo. Les plus âgés, eux, remplacent les sneakers par des santiags de rodéo en cuir gravé et les lunettes de soleil par un couvre chef. Partout, des cireurs de chaussures font passer cette activité en véritable Art. Avec dextérité, ils frottent, alternant divers produits pour nettoyer, nourrir et protéger le cuir. Il faut que ça brille ! L’Art se retrouve aussi sur les murs car bien que l’état de Chihuahua vive avec une certaine nonchalance, le street-art est parvenu jusqu’à lui ! Partout d’immenses fresques, dont la plus impressionnante, visible du croisement de l’Avenida Independancia et la Calle Gaudalupe Victoria représente… un chien Chihuahua !

Le soir venu, les habitants de la ville se réunissent sur une place à proximité de la cathédrale et dansent, mêlant sans complexe tradition et modernité. La « food » notamment la street-food a également sa place à Chihuahua Downtown. De petites échoppes mobiles proposent toutes sortes de gourmandises sucrées ou salées (jugos, sodas, frituras) avoisinant très probablement les 12000 Kcal… Des petites boutiques ou des restaurants ouverts non-stop, servent quant à elles, des spécialités culinaires préparées à la minute. Comme dans le reste du pays, le tacos est souvent à la carte. Un peu à l’extérieur du centre ville, « Rico’s Tacos de la 24 » est une adresse incontournable, très prisé des Chihuahuenses. Sa carte affiche une longue liste de tacos mais aussi de papas (pommes de terre) assaisonnées et accompagnées de viande et de légumes, de poêlons variés… Le tout affichant non seulement le prix mais également la valeur énergétique. Ici, pas de place aux régimes…

LES MENNONITES, UN GROUPE RELIGIEUX NÉ EN FRANCE

Du côté de Cuauhtémoc, le paysage est relativement plat. Quelques troupeaux de vaches paissent tranquillement, des collines à l’horizon viennent dessiner un peu de relief, des hameaux perdus dans cette étendue aride arrêtent le regard. Dans cette contrée hors du temps, certains hommes de la communauté mennonites circulent encore à cheval ou en carriole. Comme à Chihuahua Downtown, ils portent des santiags de rodéo ou des bottes de cow-boy, des chemises à carreaux (style bûcherons canadiens), des bretelles en cuir et des sombreros à bords étroits. De longues robes à multiples épaisseurs couvrent le corps des femmes et des filles. Certaines ne sortent pas la tête découverte. Leurs cheveux tressés révèlent une blondeur étonnante sous ces latitudes. Et bien souvent un regard bleu d’acier encore plus étonnant. Une certaine austérité volontaire est palpable. À y regarder de plus près, et pour les français d’une certaine génération, les mennonites ressemblent à s’y méprendre aux personnages de la célèbre série « La petite maison dans la prairie » (Little House on the Prairie). Les touristes peuvent croiser des Laura Ingalls à chaque coin de rue ou presque, du moins dans la zone où vivent ces anabaptistes.

Cette communauté chrétienne évangélique, dont il est souvent dit que les origines remonteraient au 16e siècle au Pays-Bas, a toujours prôné la non-violence mais aussi la résistance au nom de Dieu. Et c’est ce qui transpire de chaque mennonite croisé sur la route. Une certaine douceur et une paix intérieure indéniable. La naissance de ce mouvement pré-réformiste est cependant beaucoup plus ancienne et trouve sa source en France, à Lyon, en 1117, d’un groupe de croyants auquel Petrus Waldnus a enseigné le Nouveau Testament de la doctrine du Christ. Une communauté considérée alors comme une secte et chassée par le pape 17 ans plus tard. De ce groupe sont nées des « communautés silencieuses » réparties dans toute l’Europe, jusqu’en 1524, date officielle à laquelle Menno Simonsz, anabaptiste néerlandais, prend en charge la direction spirituelle de cette église et donne naissance au mouvement « mennonite ».

DOUCEUR DE VIVRE ET TRANQUILLITÉ DE L’ESPRIT

Les maisons mennonites se fondent au paysage. Ici, il n’y a pas les couleurs vives auxquelles nous a habitué le Mexique. Les bâtiments sont peints dans des gris colorés très discrets. Mais les mennonites ne sont pas réfractaires aux nouvelles technologies. Tous (ou presque) possèdent un smartphone et chaque famille se déplace, dans cette colonie oubliée par les transports en commun, avec des énormes pick-ups certainement très polluants. Les mennonites ne sont pas non plus imperméables à la communication. Pour exemple, Abraham Peters, un sage de la communauté. Il n’hésite pas à ouvrir ses portes pour raconter l’histoire de sa famille et celle de sa communauté, qui est divisée en plusieurs colonies (Manitoba, Swift Current, Ojo de la Yegua, Santa Rita, Santa Clara, Los Jagueyes, El Valle, Buanaventura O Pestanas, El Cuervo, Buenos Aires, La Virginias, El Capolin, El Sabinal, Buena Vista, Las Saladas, El Camello, Manitoba Norte, El Oasis). L’état du Chihuahua le reconnaît comme un extraordinaire ambassadeur de la culture mennonite. Son ami Carlos Venzor a, quant à lui, réuni une multitude d’objets qu’il conserve dans une remise de sa ferme et qu’il aime faire découvrir aux visiteurs de passage. Une sorte de musée qui mériterait de faire partie des circuits touristiques dans l’état. Les mennonites vivent de la vente de fruits en bocaux, de confitures et de produits agricoles. Ils mènent une vie finalement rurale, durable et paisible, dans la droite ligne de leur croyance fondamentale, l’absence de vanité.

LA TRIBU DES RARAMURI, LE PEUPLE DES MONTAGNES

Un peu plus au Sud, la petite ville paisible de Creel, dans la municipalité de Bocoyna, est un mélange d’authenticité et de nature. Le centre-ville s’articule autour d’une artère principale où s’égrènent, tel un chapelet, boutiques d’artisanats et restaurants. Rencontres parfois insolites et attendrissantes comme cet adorable petit chien qui décide de nous suivre jusqu’au lodge… Creel, qui n’atteint pas 5500 âmes, est une éloge à la lenteur de vivre et au slow tourisme dont raffolent certains voyageurs. Ce n’est pas tant cette charmante petite ville qui est d’un grand intérêt touristique, bien qu’elle soit classée comme Pueblo Magico depuis 2007, mais plutôt ses environs. Située au cœur de Copper Canyon, sa nature est généreuse.

Au cœur de la Sierra Tarahumara, dans les environs de Barrancas del Cobre, les vallées des moines, des Champignons et des Grenouilles sont spectaculaires avec leurs formations rocheuses qui surgissent du sol, d’une hauteur allant jusqu’à 50 mètres de hauteur. Ces monolithes naturels formés il y a plus de 20 millions d’années ne sont pas sans nous rappeler les cheminées de fées de Cappadoce. C’est sur ce territoire escarpé, que les Raramuri ont trouvé refuge. Certains vivent dans des grottes aménagées, comme cette famille qui a élu domicile dans la Cueva del Chino. Et tous s’accommodent de l’absence d’électricité pour mener eux aussi une vie respectueuse de leur environnement. Creel est aussi, certainement, le lieu le plus connu pour commencer un voyage en train à travers le Chihuahua vers le Pacifique, sur le Chepe Express, qui parcoure 350 km en 9 heures. Une longue parenthèse où se succèdent les surprenants paysages du Chihuahua, alternant montagnes, canyons et déserts.