Des chambres à air de tracteur recyclées en sacs de luxe durables ? C’est le paris fou d’un duo de jeunes entrepreneurs en Mayenne ! Et de cette matière indomptable et improbable est née une nouvelle marque de maroquinerie qui ne demande qu’à se faire une place dans la cour des grands.
Quand elle nous parle de son projet, Pauline Côme a les yeux qui pétillent. Des étoiles plein les yeux. Peut-être celles de la jeunesse qui ne craint rien et surtout pas de se lancer dans des aventures dont l’issue est une inconnue avec un grand i. Le challenge n’est pas aisé. Un vilain virus aurait pu contrecarrer voire anéantir ses projets. Mais loin d’avoir un effet destructeur, il a été un booster d’idées, d’envies…
EXPÉRIENCES ET RECHERCHES STYLISTIQUES
Pauline est tombée dans la chambre à air comme d’autres dans la potion magique. Quoi de plus naturel que de s’intéresser à cette matière, pour le moins insolite et décalée, lorsqu’on est fille d’agriculteur et que la dite matière traîne à profusion dans la grange familiale. Mais le chemin pour l’upcycler (recyclage par le haut) dans des créations haut de gamme, pas forcément évident. Et peut être long et semé d’embûches…
Pauline commence sa carrière stylistique par un cursus d’Arts Appliqués à Laval pendant trois ans. Déjà, elle recycle cette chambre à air en la découpant en fil puis en la tricotant dans différents projets, tout comme la ficelle Round baller bleu, une fibre de polypropylène, qu’elle valorise en la crochetant. Elle enchaîne ensuite avec un BTS design de mode à Cholet, cursus dans lequel elle continue de pousser ses recherches stylistiques et expériences avec la chambre à air, dans l’idée de réaliser une collection globale. Dans cette dernière, elle réalise, entre autres, un manteau doté d’une incrustation de chambre à air dans le dos et son tout premier sac. Dans la foulée, pendant sa licence, elle part quatre mois en Corée du Sud. Histoire de grandir, d’échanger, de vivre une expérience à l’étranger. Là-bas elle y apprend le moulage, une technique de haute couture qui permet de créer des vêtements en trois dimensions directement sur un mannequin.
GENÈSE D’UNE MARQUE DE LUXE
Elle revient en France comme stagiaire à Bonobo, une marque écoresponsable de jeans et vêtements prêt-à-porter streetwear qui appartient au groupe Beaumanoir. Au sein de cette entreprise, elle apprend beaucoup. Notamment le fonctionnement d’un pôle achat avec les chefs de produits, les stylistes… Mais des challenges de projets artistiques, comme ceux qui étaient imposés par les profs de ses différents cursus, lui manquent.
Elle rencontre alors Clément Leboullenger, un jeune entrepreneur, qui lui propose de monter une entreprise de fabrication de tee-shirts pour entrepreneurs (avec messages). Pauline est ok à condition qu’ils soient Made in France et plus précisément fabriqué en Mayenne ! Le covid arrive. Et l’idée de reprendre ses rêves là où elle les avait laissé lorsqu’elle avait 16 ans. Utiliser la chambre à air comme matière première. Dans cette nouvelle entreprise Pauline s’occupera du stylisme et Clément de la digitalisation de la marque. Atelier Verde est né !
Le premier prototype de sac en cuir animal teinté végétal sans chrome travaillé avec des pièces en chambre à air est réalisé le premier semestre de 2020. Une campagne Ulule est lancée pour financer sa fabrication. C’est un succès. Le projet plaît. Tout est à faire pour le consolider…
DE LA CHAMBRE À AIR AU SAC CHIC ET HAUT DE GAMME
De nombreuses étapes ponctuent la transformation de la matière brute à l’objet de luxe. Dans un premier temps, la chambre à air, découpée en échantillon de 20cmx30cm environ, est nettoyée en interne chez Atelier Verde puis elle est envoyée en micro perçage ou en gravure chez Delta Neo, à la Ferté-Bernard, près du Mans. Elle repart ensuite dans l’atelier d’Erwan Bry à Saint-Berthevin, un atelier spécialisé dans la maroquinerie avec lequel Pauline travaille depuis deux ans sur des tests (manteau, bustier, tote-bags, pochettes, porte-cartes, bandoulières) et des prototypes, mêlant cuir et chambre à air avec pièces interchangeables. Les prototypes partent ensuite en fabrication dans un atelier classé Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV). « Aujourd’hui, il y a beaucoup d’aller-retour des produits entre les différents intervenants, mais à long terme nous souhaitons installer nos propres ateliers, au moins pour les prototypes, même si nous continuons à faire fabriquer par les autres. Une façon d’aller plus vite sur la fabrication des produits » détaille Pauline. Dans cet atelier, ils pourront être fabriqués en quantité plus importante. « Cette logistique est en train de se mettre en place avec notamment les devis machines ».
DES CONTRAINTES TECHNIQUES POUR LES FORMES ET LES COULEURS
Pour l’instant, les modèles d’Atelier Verde ne sont fabriqués que dans des tonalités relativement sombres (noir, cognac). D’autres essais ont été faits, car la couleur est une demande du public. Sur le dernier salon Made in France, qui a eu lieu du 10 au 13 novembre dernier au Parc des Expositions de la Porte de Versailles, les sacs colorés étaient les plus plébiscités. Mais des contraintes techniques concernant le cuir teinté sur mesure, notamment les craquelures qui apparaissent au bout d’un certain laps de temps, obligent Pauline a refaire un sourcing afin de trouver du cuir d’ameublement déjà coloré (lors des différents traitements de transformation d’une peau d’animal en cuir) ou des fonds de stock de grandes maisons. L’idée est de trouver des cuirs colorés de très bonne qualité et résistants dans le temps. Les cuirs colorés avec colorants végétaux sans chrome, plus « écologiques », offrent également moins de choix de couleurs. La chambre à air, elle aussi, donne du fil à retordre à la styliste. Matière par nature concave, il est difficile de la contraindre à certaines formes. De même, dans cet esprit de upcycling, impossible d’envisager une coloration de cette chambre à air lors de sa fabrication. Noire elle est, noire elle restera. Seule l’hydrographie (aussi appelé le water transfer printing ou l’hydrodipping) peut permettre de lui appliquer un motif ou une couleur. Mais quelle résistance dans le temps pour cette coloration en surface ?
DÉMARCHE ÉTHIQUE ET CODES DU LUXE
Pauline insiste sur la durabilité de ses produits et envisage de recycler et d’upcycler d’autres matières comme les tissus techniques ou les textiles second choix en ayant conscience qu’une marque ne peut jamais vraiment être 100 % green. Dans un esprit écoresponsable, Atelier Verde propose des séries limitées en vente uniquement en précommande. Un moyen de limiter la surproduction.
Pour lancer leur marque, Pauline et Clément ont organisé un défilé de mode (sous le regard attentif de Diane Leyre, Miss France 2022) avec un autre partenaire EPV originaire de Laval qui produit des textiles, leur anoblissement, leur tissage plus particulièrement pour les doublures. C’est à partir de ces tissus que la plupart des vêtements du défilé ont été créés. Si le prix des sacs est déjà un indice, pour ancrer encore plus cette marque dans le luxe, plusieurs pistes seront à travailler notamment faire de la gravure une marque de reconnaissance au premier coup d’oeil. Le monogramme v de Verde pourrait être l’élément le plus probant de cette reconnaissance. Et pourquoi pas un mix entre le pied-de-coq ou les vagues et le monogramme ?
Une jeune marque qui dispose aujourd’hui d’une belle collection de sacs élégants et intemporels, à l’image de l’éternelle petite robe noire dont chaque femme possède un exemplaire dans sa garde-robe. Leurs projets d’avenir ? Améliorer les modèles déjà créés et vendre les collections en boutique, élaborer des modèles homme, continuer à proposer des modèles esthétiques et qualitatif avec pour seul maître mot : surprendre encore et toujours. C’est tout le bien qu’on leur souhaite !